35. Petit-déjeuné

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Antonin

La nuit a été compliquée. J'ai très peu dormi. Je suis resté toute la nuit au chevet d'Aliénor. Entre deux courts sommeils, j'ai lu ses carnets.

Je n'ai toujours pas ouvert le dernier, celui qui relate la semaine durant laquelle elle est censée avoir commis le vol.

Cependant, plus je lis sa belle écriture, plus je suis convaincu de son innocence. Elle réussit par ses mots à me calmer, à ramener le calme en moi.

Il est presque affolant de voir à quel point elle ne juge personne. Elle ne souhaite pas rendre toutes les souffrances que lui inflige Sylvie. Elle arrive à voir le meilleur en tout ceux qu'elle rencontre, moi compris.

Dans son monde, la rancœur, la vengeance, la haine ne semble pas exister. Bien qu'elle souffre, et que je vois grandir sa douleur avec le temps, elle ne cherche jamais à calmer sa douleur par la colère.

Je la vois au contraire expliquer comment ses émotions disparaissent petit à petit. Elle explique que c'est lié au fait qu'elle ne prenne plus ses médicaments.

Mais même si j'ai bien conscience que son anxiété ou sa dépression n'est pas entièrement due à mon accueil, je comprends maintenant à quel point cela la fait souffrir.

Jamais elle ne l'avoue. Au contraire, elle ne cesse de répéter que sa situation s'est améliorée. Que si elle est consciente d'aller de plus en plus mal, elle a beaucoup d'espoir pour l'avenir.

Cela me fait mal de lire ces lignes en particulier. Mais je continue. Je lis. Je dors un peu. Puis, je lis.

Il est huit heures du matin quand Estelle rentre dans l'infirmerie. Elle est toute fraîche.  Visiblement, elle a passé une bien meilleure nuit que moi.

- Salut, dit-elle avant de froncer les sourcils. Tu n'as pas dormi ?

- Si, répliquè-je en me redressant.

- Antonin, le sommeil, c'est important. Je vois bien que la situation te touche, mais tu dois prendre soin de toi...

- Estelle, tu n'es pas là pour moi et de toute façon, j'ai dormi.

Elle me regarde d'un air dubitatif. Je ne l'ai pas convaincu, mais j'en ai rien à foutre. Pour l'instant, ma santé n'est pas la priorité.

Elle finit par hausser les épaules avant de poursuivre :

- Nous avons juste le temps pour un petit déjeuner avant qu'une ambulance vienne pour emmener ma patiente à la clinique. Tout est prêt pour la recevoir.

- Une ambulance...

- T'inquiète, me coupe-t-elle, ce sont des gars sûrs de la clinique. Je te rappelle que ton père a le contrôle de tout là-bas, donc quand une ambulance doit venir au manoir, ils savent qu'ils doivent envoyer des gars de confiance.

J'ai oublié ce détail. Pas que la clinique appartient à ma famille, mais que mon père à la main mise sur tout l'établissement. Il doit de ce fait déjà être au courant pour l'ambulance.

J'aimerais le tenir encore un peu à l'écart. Tout d'abord parce qu'il voudra sûrement que l'on juge immédiatement Sylvie. Hors pour l'instant, je n'ai pas assez d'éléments pour qu'elle soit punie à la mesure de sa trahison. Il me faut du temps pour enquêter.

Mais surtout, si mon paternel se rend compte d'à quel point je suis impliqué émotionnellement dans toute cette histoire, alors il la passera à mon frère. Et ça, ça ne doit pas arriver.

Il faut que je demande à Martial de trouver une bonne explication et surtout que mon père ne sache pas qui est emmené à la clinique.

- Très bien, tu connais le chemin des cuisines...

- Oh, tu viens avec moi ! s'exclame-t-elle. Tu as déjà pas assez de sommeil, n'ajoutons pas en plus de la malnutrition...

Je vais pour protester, mais je connais bien Estelle. Elle traînait souvent au manoir qu'en on était gamin. Et je vois bien dans son regard qu'elle fera tout pour parvenir à ses fins.

Fatigué d'avance, je laisse tomber et me lève. À regret, je quitte le chevet de celle que je considérais encore jusqu'à peu comme une traitresse.

Quand, j'atteins la porte, je me retourne pour observer son visage paisible. J'hésite. Dois-je vraiment la laisser seule, alors qu'elle souffre d'une si profonde solitude.

- Tu sais, elle ne se rendra pas compte si tu pars, remarque Estelle avec un léger sourire ironique. Et ne t'inquiète pas avec toutes les machines autour d'elle, nous serons prévenus s'il lui arrive la moindre chose. Donc maintenant, tu as intérêt à me préparer le meilleur petit déj de tous les temps ! Je l'ai mérité !

En douceur, je ferme la porte en lançant un dernier regard sur la femme endormie. Je sais pertinemment qu'il vaut mieux lui obéir si je veux que tout se passe pour le mieux.

Elle sait pertinemment qu'elle vient de demander à l'un des plus haut placé d'un empire criminel de lui faire la popote, et pourtant ça lui semble normal.

Je pense que c'est pour cette raison que j'apprécie sa présence. Comme tout ce que je considère comme mes amis, elle me voit au-delà de ma famille.

Bien sûr, comme la peste qu'elle est, elle ne veut pas se contenter des viennoiseries venues directement du meilleur pâtissier de la région. Non, elle veut que je lui prépare des crêpes.

Mais comme je lui suis réellement reconnaissant des soins qu'elle a apportés à Aliénor, je fais de mon mieux pour combler ses envies.

Nous mangeons en discutant. Enfin, plutôt, je l'écoute et elle parle. Elle me confie notamment vouloir quitter la clinique pour travailler dans un hôpital public. Cela ne m'étonne pas d'elle, ça correspond parfaitement à ses valeurs.

Elle n'a jamais aimé travailler pour des criminels. Et même si elle s'est vu accorder le droit de ne plus être appelé pour soigner des blessures directement liées à des crimes, le fait de travailler dans une clinique appartenant à ma famille, fait qu'elle travaille toujours pour des criminels.

De plus, bien qu'elle ait fait médecine, poussée par son père, elle est très humaniste. Elle aime l'idée que tout le monde puisse avoir accès aux soins et elle veut participer.

- Mais t'inquiète, précise-t-elle. Je resterai ton médecin. Je peux pas te confier à quelqu'un d'autre, il en ferait une dépression.

Je la fusille du regard, mais ne peux retenir un sourire. Je suis conscient d'être un patient récalcitrant. Toutefois, je suis soulagé quand enfin, on m'annonce l'arrivée de l'ambulance.

En retournant à l'infirmerie, je trouve Aliénor toujours endormie. Je fronce les sourcils et demande :

- Elle va se réveiller quand ?

Estelle ne me répond pas tout de suite. Elle fait un dernier examen rapide avant l'arrivée du brancard. Enfin, elle se retourne vers moi avec un sourire triste :

- Elle peut se réveiller n'importe quand. D'un point de vue médical, tout va bien.

- Alors pourquoi ne se réveille-t-elle pas ?

- Il y a un blocage. Sûrement dû à ce qu'elle a vécu pour arriver dans cet état. Ne t'inquiète pas, d'ici à une semaine, elle devrait se réveiller.

Je vais pour protester, mais je me retiens. Je ne peux pas lui infliger mon impatience. Serrant les poings, je suis les ambulanciers qui emportent Aliénor.

Mais quand je monte dans l'ambulance à leur suite, une main ferme tente de me retenir. Comme c'est Martial, je retiens toute chose désagréable que j'ai envie de lui faire pour nous avoir retardé et je me tourne vers lui pour l'assassiner du regard.

- Antonin, si tu ne souhaites pas que ton père sache qui se trouve dans cette ambulance, tu devrais rester ici.

Je me retiens de protester et de l'insulter et réfléchi. Ça me chier, mais je dois admettre qu'il a totalement raison.

C'est à mon tour de le saisir par l'épaule. Ma poigne doit lui faire mal, mais cela m'importe peu.

- Très bien, mais tu vas y aller à ma place et tu ne l'as quitté pas d'une semelle...

Deuxième captivitéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant