3. Orchidée

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"On y est enfin" Pensa Dante alors que Don Toño versait, devant lui, du lait dans une large soucoupe de porcelaine qui avait jaunit avec les années. Il prit une petite gorgée qui s'avéra rafraichissante. Le vieil homme sourit, satisfait.

- Tu sais, dit-il à son jeune ami, j'ai eu quatre enfants. Un garçon, trois filles. Tous magnifiques.

Dante l'écouta sans broncher.

- Quand j'étais plus jeune encore que ton père et ta charmante mère, je me suis marié à une très belle femme. Elle s'appellait... Rosía. 

Il s'était arrêté pour prendre une respiration très notée avant de mentionner le nom de sa femme, et même si Dante pouvait imaginer qu'il était triste, elle fut accompagnée du plus grand et sincère sourire qu'il n'eut jamais vu sur son visage. 

- Elle avait toute la chaleur du soleil à l'intérieur d'elle, et elle rayonnait d'une façon qui nous empêchaient tous - pas juste moi! Je te le garantis - de ne pas tomber amoureux d'elle. Ah... Quelle femme. Je plaint chaque personne qui n'ait pas eu la chance de la connaître. C'était une personne merveilleuse.

Ses mots fûrent suivis d'un silence très lourd que jamais Dante n'aurait osé briser. Il s'attendait a autre chose - beaucoup de raisons possibles pour lesquelles Toño aurait pu l'ignorer - mais pas ça. Il était complètement pris au dépourvu.

- Cette maison-ci, poursuivit-il, appartenait à son père. Quand nous étions jeunes, nous passions beaucoup de temp ici. Un jour, lorsque nous avions tous deux vingt ans, mon beau-père est décédé. Sa femme, la mère de Rosía, était inconsolable. Nous avons donc pris la décision de nous marier et d'emménager dans la maison, en 1860.

Il prit un moment et son regard s'enfuit, errant vers les murs et le plafond de sa demeure - comme s'il l'observait pour le première fois. Dante, trop jeune encore, ne pût comprendre son profond sentiment de nostalgie.

- C'était bien plus beau qu'aujourd'hui, admetta l'octagénaire avec un rictus. Et j'était si jeune. 61 ans de ça déjà, peux tu te l'imaginer?

Dante sourit poliment. Ses parents n'étaient même pas nés six décénies auparavant.

- Nous avons eu nos enfants ici. Au fil des années, ma belle mère cessa progressivement de s'occuper du jardin et Rosía commença à l'entretenir. Elle avait le pouce aussi vert que l'herbe fraiche de la vallée d'Ordessa. De superbes fleurs y ont poussé parallèlement à nos enfants, tous magnifiques. J'étais l'homme le plus heureux du monde. Mon fils, le plus vieux, est parti vivre en France en premier. Puis deux de mes filles se sont mariées - La deuxième et la plus jeune. Teresa est restée plus longtemps avec nous. Ma femme voulait lui trouver un époux à tout prix - mais pas moi. Elle donnait tout son temps et son énergie à diriger une imprimerie que nous avions à l'époque, ici, à Torla. Je la voyais heureuse et accomplie, et c'était tout ce qui importait pour moi.

Il s'arrêta, prit une gorgée de son verre de lait, puis ses yeux tombèrent directement dans ceux du jeune garçon et sa voix tomba d'un demi ton.

- Et un jour, eh bien, tout à changé. Rosía adoptait doucement un comportement difficile à comprendre. Elle se perdait partout ou elle allait. Elle était agressive envers les gens qu'elle connaissait moins. Elle était tout le temps en colère. Elle s'est montrée très méchante, d'ailleurs, avec notre fille - avec moi aussi, mais ce qui m'a le plus brisé le coeur, c'est la voir commencer à traiter notre fille comme une inconnue. C'était... comme si un nuage orageux s'était installé sur le rayonnement habituellement si charactéristique de sa bonté et de sa douceur.

- Est-ce que c'est pour ça que votre femme à quitté la maison? Demanda Dante, confus.

- Au contraire, le corrigea Toño avec douceur. Vint un jour ou, finalement, elle ne sortit plus jamais de la maison.

REALITIES (La Communauté de l'Ombre)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant