1. Rupture

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Il n'y avait bien qu'au coeur des pyrénées, Monts gelés et fleuris, trône des deux saisons*,  que l'on pouvait trouver, à tout point durant l'hiver,  une nuit froide et enneigée. 
À travers l'obscurité, le son distinct de deux paires de bottes claquaient sur les dalles de pierre d'une petite avenue, traversant la petite bourgade qu'était Torla-Ordessa. L'écho des bruits de pas résonnaient sans trouver témoins, menacant à tout moment de briser un moment sacré: Une marche nocturne, à l'heure la plus tardive, dans un village totalement assoupi et confiné au silence.

Dans la fraîcheur typique de l'hiver dans les montagnes, un gamin et un vieillard déambulaient, chuchottant entre eux, à découvert mais inaperçus de tous malgré la lumière des lampes a gaz de houille accrochées aux murs de certains établissements. Ils n'avaient aucun secret à cacher mais s'ajustaient tout de même au voile qui s'était déposé sur Torla. Le jeune garçon levait les yeux vers un homme deux fois plus grand que lui: Don Toño. C'était un octagénère au visage osseux mais à l'esprit spontané, et il s'avérait être aussi expressif qu'il n'était possible de l'être.
Tous deux, malgré leur énorme différence d'âge, avaient développé une amitié véritable et une solide complicité. On les retrouvait toujours, en fin de journée, discutant sur la plaza Aragón avec les autres vieillards du village. 

Bien qu'il n'ait que 9 ans, le jeune Dante les aimait beaucoup; ils lui avaient appris des grossièretées que sa mère lui refusait de répéter et lui raccontaient toujours des histoires incroyables. Don Toño était celui qui y passait habituellement le plus de temps. Son père disait que c'était parce qu'il n'y avait plus personne qui l'attendait à la maison, et Dante se disait qu'il était dommage que Don Toño n'ait pas d'enfants comme lui.

 Ce soir là, le vieil homme racontait au garçon l'histoire d'une vieille guerre avec leurs voisins du nord, il y avait presque 300 ans. Il pointait à Dante, alors qu'ils avançaient sur les dalles humides reflètant une lumière orangée, de très vieux bâtiments, lui disant qu'ils avaient assistés à cette guerre. Il lui pointa un endroit en haut d'un escarpement rocheux et lui appris qu'il y avait jadis un château.
Dante était sous le choc. Il n'aurait jamais pensé que Don Toño se souvienne de l'emplacement des bâtiments trois décénies plus tard. Il espèra qu'il pourrait lui aussi vivre aussi longtemps.

Il était bien passé minuit lorsque le duo déboucha au coin de la Calle Nueva au centre du village. Jamais ils ne s'étaient attardés sur la plaza aussi longtemps et Dante savait que sa mère, que son ami appellait affectueusement "doñesita Emilia", serait furieuse.

"Je marcherai avec toi jusqu'en haut pour parler avec tes parents" lui dit Toño avec un regard en biais, comme s'il avait lu dans ses pensées.

"Je vous remercie Don Toño, mais la côte est abrupte et il est tard, je suis certain que votre lit vous appelle! Ne vous en faites pas... Non, vraiment, j'expliquerai à ma mère, elle comprendra, elle saura assurément que j'étais avec vous, j'en suis certain". Il fallut presque une minute entière pour que Dante convainque son ami de tourner les talons et d'aller se reposer, mais il y parvint enfin.

Alors qu'il remontait la pente vers chez lui, son regard s'arrêta sur l'horizon pendant un moment qui se prolongea, jusqu'à ce que ses pieds cèdent enfin et qu'il s'immobilise, frappé par la clareté de la lune se reflètant sur les montagnes interminables à l'horizon. Il rêva pendant quelques secondes de guerre, d'aventure, d'une vie remplie d'action - comme sûrement avait vécu Don Toño. Il fit un geste vers l'étendue devant lui en se promettant de l'explorer un jour. Un geste lent pendant lequel il traça la cime des sommets enneigés avec son doigt, les yeux lourds, se sentant prêt déjà pour le sommeil.

Peut-être ne le réalisa il pas parce qu'il faisait trop sombre pour le voir, peut-être parce qu'il s'était empressé de revenir vers la maison, mais derrière lui, là ou ses doigts avaient glissés, une fine membrane s'était rompue et pendait doucement, mince et translucide, tel la mue d'un serpent. Accrochée dans l'air de façon surnaturelle, elle commençait déjà à se reformer lentement, comme si le ciel lui même avait commencé à soigner une plaie ouverte. Quelques minutes plus tard a peine, elle avait disparu, ne laissant aucune trace visible la ou elle s'était tenue. Mais dans l'esprit de plusieurs à travers le monde, tapis dans l'ombre et à l'affut, elle resta grande ouverte. Brillante mais invisible, comme un phare à travers une tempête.

REALITIES (La Communauté de l'Ombre)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant