Chapitre XV - Une Seule, Une Toute Dernière

80 11 38
                                    

Castellfollit de la Roca aurait pu être un village typique d'Espagne s'il n'avait pas été perché au sommet d'une falaise de cinquante mètres de haut.
C'était toutefois un village très actif et florissant dut à sa mine de basalte, unique en son genre au pays. De nombreux commerçants venaient s'y installer pour profiter de cette richesse et la transporter à travers les terres. En 1926, c'était un marché en expansion, et la diversité des marchandises que l'on trouvait à Castellfollit emmenait à ce petit coin de pays un souffle jeune et dynamique.

C'est dans cet endroit que Dante émergea du pub ou il se trouvait et son regard s'habitua à nouveau à la lumière. Après trois jours passés dans l'ignorance absolue, il put enfin constater ou il se trouvait.
Dans une confusion maintenant presque routinière, il remarqua qu'il y avait foule et que de nombreuses personnes s'affairaient autour de lui, dans un mouvement perpétuel que Dante n'avait vu que lors de brefs passages à Broto, lorsqu'il était enfant. Force lui fut d'admettre qu'il aurait pu être facile de disparaître dans cette masse de passants. Il avança un peu, incertain de la direction à emprunter, avant de se retourner vers le gîte qu'il quittait dans le but de le retrouver éventuellement. Une insigne arborait le nom de l'endroit, très simple; <La Taberna>.
Dante se fondit dans la foule. Bientôt, il se retrouva entouré de stands divers. L'ambiance était très légère, voir festive. Le jeune homme se sentait comme un fantôme à travers cette poignée de gens heureux vacant à leur quotidien, mais ses tracas lui échappent momentanément. Quelques jeunes de son âge allaient d'un marchand à l'autre, et il décida de les suivre, curieux de savoir ce qu'ils observaient. Il découvrit des jeux fabriqués à l'étranger, majoritairement de la marchandise française (Dante comprenait un peu le français et un vieux de la place Aragon lui avait même appris jadis quelques jurons.) Il fit la connaissance d'un garçon et d'une fille de son âge, Javier et Camillia, et leur parler, à eux, adolescents normaux vivant une vie banale, lui fit ressentir un mélange d'émotions étrange. Comme si ce moment de normalité appliquait un baume sur son cœur, le transportant d'une joie extraordinaire de pouvoir jouir d'un moment si banal et ordinaire, tout en lui rappelant que cela n'avait jamais été sa vie et qu'il n'y aurait jamais vraiment droit.

L'après midi se pointait déjà à l'horizon, et Dante passait toujours un agréable moment avec ses nouveaux amis qui s'avéraient être de très bonne compagnie. Ils tournaient l'angle d'une rue alors que Javier et Camillia lui faisaient découvrir le village, lorsque quelque chose éléctrisa Dante, le clouant sur place.
Ce fut une simple vision, brève, mais ne laissant place à aucun doute.
Un visage familier.
Et celui qu'il n'aurait le moins espérer revoir.
Il poursuivit sa course, espérant de toute ses forces avoir rêvé. Quelques mètres plus loin, il se retourna et constata que personne ne l'avait suivi.

En début de soirée, Dante dut dire au revoir à ses amis qui rentrèrent chacun chez soi. L'adolescent les regarda s'éloigner en se disant qu'ils venaient d'offrir sans même le savoir, le seul moment d'adolescence normal à un jeune garçon qu'ils ne connaissaient pas.
Il aurait voulu, lui aussi, courir vers chez lui pour retrouver ses parents et partager un repas avec eux. Au lieu de cela, c'était une chambre obscure et des inconnus étranges qui l'attendait.

Il commença à rebrousser chemin vers La Taberna, lorsque quelque chose à sa droite attira son attention. Un bruit venant d'un toit. Comme le cliquetis caractéristique de tuiles qui s'entrechoquaient. Ses yeux se tournèrent vers le haut de l'immeuble et il put voir uniquement sa tête dépasser de la gouttière. Il regardait calmement dans sa direction.
Dante s'arrêta, avec le sentiment d'agacement d'un enfant surpris par son professeur à faire une bêtise. Il se retourna vers l'édifice; une vieille librairie presque vide à deux étages. Il s'y engoufra sans attendre.

Seul un vieil homme se tenait derrière un comptoir, une petite paire de lunettes posée sur le nez, feuilletant un livre usé. Quelques étagères poussiéreuses démontraient que l'endroit était rarement occupé, et un escalier étroit, au fond de la pièce, semblait être fermé au public. C'est ce qui retint immédiatement l'attention de Dante. Il se dirigea tranquillement vers le fond de la librairie, feignant regarder les livres comme s'ils étaient la cause de sa présence. En d'autres temps, l'adolescent s'y serait attardé et aurait feuilleté quelques ouvrages, lui qui appréciait se perdre dans des récits aux notes exotiques et hors de l'ordinaire. Aujourd'hui, cependant, une urgence lui enlevait toute possibilité de le faire.

REALITIES (La Communauté de l'Ombre)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant