Chapitre XXIII - Un Souvenir De Monte Perdido

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Jamais Dante n'eut à ce point besoin de temps, dans sa vie, pour faire quelque chose d'aussi simple que de se relever.
La solitude lui pesait comme s'il devait effectuer chaque mouvement en tenant une enclume dans ses mains. C'était un sentiment auquel, bien qu'il l'ait connu avant, il ne pouvait s'habituer.

Trop secoué pour se remettre sur pieds, Dante rampa jusqu'à un arbre non loin, sur lequel il appuya son dos. Le regard embrumé par les larmes, il leva les yeux aux ciel, dans l'espoir de retrouver quelque chose qui, peu importe l'endroit où il se trouvait, lui semblerait familier. Mais même le ciel, ici, était différent. Le bleu nocturne habituel était parsemé de diverses couleurs, allant du mauve au vert. C'est une vision que Dante trouverait magnifique s'il n'avait pas connu la misère d'être absolument seul.

Incapable de trouver quelque chose qui puisse le rassurer, l'adolescent ferma les yeux. Il prit un instant pour réfléchir, se calmer, apprécier l'air frais. Rien dans ce monde n'était parfaitement similaire à ce qu'il avait connu; sauf l'odeur. L'odeur caractéristique des jours nuageux et des pins encore humides de la bruine matinale.

D'accord, il était seul. D'accord, il était dans un environnement qui lui était inconnu. Mais au moins, il avait réussi à fuir - fuir le personnage inquiétant et désaxé qu'était l'Empereur. La vie toute tracée de service envers l'empire était derrière lui.

Mais Arlo? Dante avait eu tellement d'espoir à voir sa seule silhouette. Sa voix avait eu sur lui l'effet d'un coup de fouet. Que c'était-il passé, comment cela avait il pu se produire? Dante considéra vivement l'idée d'un fantôme, mais quelque chose ne semblait pas logique. Il lui avait semblé très présent, opaque, comme s'il s'était réellement trouvé devant lui. Mais l'absence de réactions et de lucidité lui semblait étrange, comme s'il avait été forcé de faire les choses dans un ordre précis, comme s'il avait été contrôlé de l'extérieur.
Et si ce n'avait été qu'une illusion?
Possible. Peut être quelqu'un l'avait-il envoyé pour qu'il lui vienne en aide? Peut être Arlo avait-il lui même projeté son image pour le retrouver?
Mais dans ce cas, pourquoi ne venait-il pas maintenant?

"Il n'est sûrement pas ici, à la Frontière.." dit une voix dans la tête de Dante. Si ça se trouvait, il était encore à Monte Perdido, et avait trouvé moyen de le rejoindre dans cette dimension, faute de pouvoir passer physiquement. Ça faisait du sens; même s'il était venu physiquement, Arlo n'aurait pas nécessairement sut comment retourner dans la Réalité.

Le poids que transportait Dante commença à fondre entre ses mains et disparaître dans l'herbe fraîche. Les choses commençaient à faire du sens dans sa tête, et d'une bien belle façon. Pour la première fois depuis les deux dernières heures, Dante réussit enfin à se relever.

Maintenant qu'il y réfléchissait, il n'y avait que du positif à sa position actuelle. Certes, il était inquiet pour Arlo, mais il avait passé de Captif/Potentiel esclave à une personne absolument libre, avec une chance d'échapper à l'empire et de retrouver sa vie d'avant.

Il était temps pour lui de s'éloigner de cet endroit. Il avait déjà eu beaucoup de chance que personne du château ne puisse le voir, mieux valais ne pas en abuser. En se retournant, il jeta un coup d'œil à la forêt brumeuse qui s'offrait à lui. La dedans, il ne verrait presque rien. Il fit un premier pas en souhaitant ne pas rencontrer des bêtes qu'il ne connaissait pas - ou d'autres, au final, qu'il connaissait très bien.

***

La Frontière, comme Dante le découvrit rapidement, différait en plusieurs points de la réalité où il avait toujours vécu. Certes, il avait passé quelques jours dans ce nouveau monde, en avait appris quelques leçons, mais se retrouver dehors, seul la nuit et sans repères était une toute autre expérience.

Durant son séjour au château, il avait assisté une fois à de magnifiques aurores boréales, vivantes de couleurs inimaginables, aussi mobiles qu'un océan brouillé par les vagues. De la haute fenêtre de sa chambre, il avait aperçu quelques étrangetés; des reflets étranges dans l'air, et même une forte pluie dans une toute partie du ciel, qui ne semblait jamais atteindre le sol.

Ceci, cependant, était différent.
Voilà déjà trois heures que Dante marchait pour s'éloigner du château, du village en contrebas, ou simplement de toute forme de civilisation. Ce qu'il ne pouvait se permettre, c'était d'être reconnu par qui que ce soit; et le problème, c'était que tout le monde sur la Frontière connaissait son existence.

Mais pas tous ne l'avaient vu de leurs yeux.

À un certain moment durant son escapade, Dante se retrouva devant un étang. Épuisé par la route, il s'arrêta et s'assit, essoufflé, sur une pierre de bonne taille.
La forêt autour de lui, bien qu'il ait conscience qu'il se trouvait dans un autre monde, lui faisait énormément penser à celle de Monte Perdido. Elle était tempérée, parsemée de conifères de toutes tailles, et l'air qu'on y respirait était froid et humide, comme si un brouillard très fin s'y était installé de façon permanente.

Il se reposait toujours lorsqu'il entendit un bruit non loin. Alerte, il se laissa chuter de l'autre côté de la pierre pour s'en servir comme couvert. Il resta la, immobile et silencieux, à observer la forêt sans voir quoi que ce soit.
Il s'apprêtait à se relever et jeter le blâme sur un petit animal lorsqu'un mouvement en hauteur attira son attention. Il ne lui fallut qu'une seconde pour le distinguer.

Tous ses cheveux se redressèrent sur sa tête. C'était une évidence. L'Empereur avait remarqué sa disparition. Et à ses trousses, il n'avait envoyé que les meilleurs.

Dante l'avait reconnu avec facilité. La haut, perché dans un arbre de haute taille, il arborait cette longue tignasse foncée, ses yeux creux reflétant la lumière de façon sinistre alors qu'il recherchait sa cible.
C'était le Nizârite qui l'avait pris à Monte Perdido. Celui qui avait tué Enzo.

Dante se retourna et couru aussi vite qu'il ne le put. Derrière lui, il entendit l'homme sauter, ses bottes frappant lourdement le sol. Puis il y eut un bruit, assourdissant, caractéristique d'un pistolet, résonnant tout autour d'eux. Dante sentit une douleur insupportable à la hauteur de son trapèze gauche; la force de l'impact le souleva de terre, et avec fracas, il s'étala sur le sol humide, tête première.

REALITIES (La Communauté de l'Ombre)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant