Chapitre XXV - Ainsi Entre La Bête

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Dante avait passé approximativement une demi heure à regarder le corps de l'homme qu'il avait tué de ses mains. Une fascination étrange, démesurée, l'incitait à rester là et l'observer, se remémorant tout ce que cet assassin avait apporté (ou soustrait) à sa vie. Et il le détestait amèrement.

Au final, le garçon décida de ne pas le décapiter pour envoyer sa tête à l'empire. C'était un acte définitivement trop violent et barbare pour lui; de plus, l'Empereur pourrait peut être le retracer, ou savoir dans quelle direction il s'était enfui. Au point où il en était, blessé comme jamais auparavant, il préférait ne pas pousser sa chance trop loin.

Ses blessures le faisait souffrir énormément. Non seulement avait-il reçu une balle dans l'épaule, mais il avait également et poignardé et avait pris feu. S'en était tellement ridicule qu'il ne put s'empêcher de rire amèrement. Il ne saignait heureusement plus beaucoup, et malgré le fait qu'il aurait voulu retirer la balle de son épaule, il s'en tirait plutôt bien. Peut être était-ce la colère sourde qui l'habitait, ou le sentiment d'impuissance et d'injustice qui l'habitait toujours, mais quelque chose le maintenait sur ses pieds. A plusieurs moment, il dut s'appuyer sur le tronc d'un arbre; la forêt était dense, et il avançait plutôt lentement dans une direction absolument aléatoire. Peut être même tournait-il en rond. Ses yeux voulaient constamment se fermer d'eux même, sans son propre accord; son corps souhaitait s'affaisser, ses jambes, lâcher sous son poids. A un moment, il demanda même de la force à un arbre sur lequel il s'était adossé. Personne ne lui répondit, bien évidemment, mais il se sentit mieux, comme si parler à quelqu'un ou quelque chose le faisait sentir moins seul dans cette immensité inconnue.

A un moment pendant son avancée, son œil capta quelque chose à sa droite et son cœur fit un bond dans sa poitrine. Il y avait un animal; il pensa d'abord à un loup, mais réalisa bien vite que c'était trop petit pour en être un. Sa vision n'était plus parfaitement claire et il comprit qu'il avait sûrement perdu plus de sang qu'il le pensait. Avait-il fait tout ce chemin pour se retrouver devant une bête sauvage et mourrir sans pouvoir se défendre? Quelle ironie, lui qui avait vécu pendant sept ans dans une montagne sauvage, entouré d'animaux et de prédateurs. Il serait peut être mort de cette façon, s'il était resté à Monte Perdido. Peut être n'était-ce que son destin qui l'avait rattrapé.

Dante s'appuya contre un arbre et se laissa glisser jusqu'à être assis contre la terre humide. Il vit l'animal approcher rapidement. Un tigre? Une lionne? Il ne savait pas et ne voulais pas vraiment le savoir. Lorsque l'animal fut très prêt, il ferma les yeux et se laissa emporter dans l'inconscience.

***

Un soleil matinal tira Dante de son sommeil. Il était au chaud dans des couvertures de fourrure, et bientôt, il put entendre un son familier s'approcher de lui; on lui lécha allégrement le visage. Dante repoussa la grosse tête et sentit le poil doux de Liro sous ses doigts. Il lui avait manqué.

Dante se redressa en sursaut. Que faisait Liro près de lui? Est-ce que toute cette aventure avait été un rêve?

Quelques secondes lui furent nécessaires pour réaliser que, non, il n'était pas à Monte Perdido. Et que l'animal qu'il flattait n'était effectivement nul autre que
Liro.
Dante se leva presque en sursaut. Comment diable Liro avait-il pu se retrouver ici? Le félin se redressa sur ses pattes arrières et déposa ses pattes avant sur ses épaules; un mouvement qu'il avait l'habitude de faire lorsqu'il était content de revoir quelqu'un qui était parti depuis un moment. Dante ne put s'empêcher d'eclater d'un rire libérateur. Il flatta la bête pendant une minute ou deux, sidéré de le retrouver ici, alors qu'il avait eu la certitude de ne jamais revoir qui que ce soit. D'autres pensées lui vinrent alors à l'esprit; si Liro était ici, c'est qu'il y avait d'autres façons de passer à travers les dimensions. À d'autres endroits qu'au palais.
La douleur de ses blessures lui revint doucement, mais il n'en portait aucunement attention. L'espoir était de retour, et il se sentait plus heureux qu'il ne l'avait jamais été.

Il sortit de la petite chambre rustique et chaleureuse où il se trouvait, Liro collé contre la jambe. Il déboucha dans une grande pièce circulaire, entourant un grand foyer ou brûlait un feu bien vivant. Dans un coin, derrière un comptoir, une femme se leva pour marcher vers lui.

- Vous êtes réveillé, dit elle plus comme une constatation qu'autre chose. Je ne peux vous retenir ou vous empêcher de partir, mais je pense que vous devriez attendre le retour du médecin.

- En fait, j'aimerais seulement savoir où je suis pour l'instant. Et vous remercier de m'avoir accueilli ici, madame, dit Dante avec un sourire sincère.

La dame sembla s'adoucir et lui sourit en retour.

- Il n'y a pas de mal. Vous êtes dans une auberge du village de Jakko. Un médecin à payer pour votre séjour et a pris soins de vous. Vous devez avoir faim. Retournez vous aliter, je vous emmènerai de quoi manger.

Dante réalisa qu'il était absolument affamé, et ne s'entêta point. Il prit la direction de la chambre qu'il avait quitté et, Liro le rejoignant en se couchant sur ses pieds, il attendit qu'on lui emmène un repas.

La dame arriva quelques minutes plus tard avec un bol de terre cuite au fond très creux et une cuillère de bois. Dante ne prit même pas la peine d'utiliser l'ustensil et porta le rebord du bol directement à ses lèvres. Il en prit deux longues gorgées; c'était une soupe quelque peu amère mais revigorante. Il put sentir des morceaux de volaille sous ses dents, et il fut heureux d'y retrouver un peu de viande. En remettant son bol à l'aubergiste, il se sentit déjà bien mieux.

La femme lui sourit une dernière fois avant de sortir de la chambre. Dante, laissé à lui même, prit le temps d'observer un peu. Les murs de pierre étaient parsemés de petites fenêtres au verre épais, filtrant la lumière à travers la chambre. Des mobiliers de bois rustiques et un grand tapis de laine reposaient sur le sol, et de l'autre côté de la petite pièce, une cheminée vide et couverte de suie démontrait que cet endroit avait connu bien des visiteurs avant lui. Le vent à l'extérieur faisait grincer la toiture au dessus de lui, mais Dante trouva le tout très agréable. D'une certaine façon, cela lui rappella la maison qu'il avait eu jadis avec ses parents.

Une vingtaine de minutes plus tard, on cogna à sa porte. Dante allait se lever pour ouvrir, mais quelqu'un entra alors qu'il tentait de repousser Liro qui s'était assoupi, couché sur ses jambes.

Dante fit un bond en voyant la personne rentrer. Des cicatrices partout sur le visage, les sangles de cuir sous le manteau bleu; il n'y avait pas d'erreur sur l'identité de cet homme. Tout de suite, il se prépara à canaliser une bourasque pour le repousser. Mais celui ci resta immobile dans le cadre de porte, un simple sourire aux lèvres, comme s'il était content de retrouver l'adolescent.

- Comment vas-tu, Dante?

Le garçon l'observa d'un regard noir avant de lui répondre d'un ton abrupte;

- Partez d'ici. Je ne m'en retournerai pas avec vous, Nill.

REALITIES (La Communauté de l'Ombre)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant