Chapitre XLIII - Mal de Coeur

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Dante dévalait maintenant la pente devant lui à toute allure. Ses jambes brûlaient sous l'effet de l'effort qu'entraînait sa course, et ses bras retenant le corps de Nicolaï ballottant dans tous les sens sur son dos, lui faisaient atrocement mal.

Les flammes des quartiers de la haute-ville se propageaient rapidement, mais ne le rattrapaient pas encore. Devant lui, Dante pouvait voir son ombre, immense et divisée plusieurs fois, danser au rythme de l'incendie. Il ralentit l'allure en arrivant au coin d'une rue. Des braises virevoltaient tout autour d'eux, semblables a des lucioles.

Presque cinq minutes déjà que Nicolaï saignait abondamment. Dans ce paysage mirifique, seul Dante était plus écarlate que l'horizon, les joues teintées par la chaleur et la fatigue.

<Nous devrions être près du quartier général! Je reconnais cette fontaine, nous étions juste au dessus l'autre soir, quand nous étions assis sur les toits!>  

Lucia le talonnais de peu. La douleur de son bras brisé la terrassait à chaque pas. Malgré la distance qui les séparait encore de l'incendie, elle arrivait a sentir une certaine chaleur a travers le tissu de ses vêtements. L'air qu'elle respirait ne lui donnait aucun sentiment de fraîcheur.

- C'est là, répondit-elle a Dante. Il suffit de tourner a gauche au bout de la rue, et nous seront à l'hôtel de ville...

Elle avait raison. A l'intersection, ils firent face a l'hôtel, superbe, indifférent au chaos qui régnait plus loin dans la cité. Leur course gagna en vitesse et leurs jambes fatiguées se rapprochaient d'un éventuel repos.  Alors qu'ils atteignaient l'escalier devant la porte d'entrée, Dante sentit quelque chose d'étrange, comme un malaise - les battants de la porte étaient ouverts et personne ne semblait garder l'endroit. L'urgence qu'il transportait sur son dos, toutefois, l'empêcha de prendre le moindre instant pour se poser plus de questions. Ils entrèrent.

Personne ne se trouvait dans le hall et du coup, Dante ne sût ou aller; Lucia se précipita vers la cage d'escalier à leur droite, taillé  dans un bois verni qui semblait être passé à travers tous les âges. Elle cria quelque chose que Dante ne prit pas la peine d'écouter; il s'était tourné et s'était lancé vers le grand salon, la pièce dans laquelle il s'était retrouvé peu de temps auparavant. Elle était vide, et les rideaux battant avec le souffle du vent s'infiltrant a travers les fenêtres entrouvertes étaient colorés de la teinte rougeâtre qui envahissait déjà le ciel. Quelques tables de verre étalent brisées, un sofa avait été renversé sur le dos, ses pieds pointant le centre de la pièce  comme des cornes tordues.

Le centre de la pièce, occupé par une seule personne.

C'était lui. Encore. Comme s'il n'avait jamais souffert des effets du temps et des événements les séparant de Monte Perdido. Comme s'il s'était réveillé le matin ou, avec Dante, il était revenu a Torla pour la première fois.

Ses yeux fixaient Dante, mais celui-ci aurait pu jurer qu'il n'avait fait que regarder le vide jusqu'à ce qu'il se tienne à cet endroit précis. Il entendit Lucia se diriger vers lui et s'immobiliser juste dans son dos, choquée, sans doute aucun, par la vision dont ils étaient tous deux témoins. On pouvait presque entendre, a travers le silence créé par la plus grande des confusions, des gouttes de sang atterrir sur le parquet.

- Tu n'existe pas, osa enfin dire Dante.

Lucia fut encore plus brave que lui; elle ne ressentait aucune colère, seulement l'accablement du deuil.
Elle dépassa Dante et approcha le jeune homme fantomatique devant eux.

- Je ne sais pas pourquoi tu es ici, Arlo... Mais je suis reconnaissante. Je ne t'ai jamais dit au revoir.

Elle esquissa un mouvement prudent vers lui, levant légèrement les bras dans la tentative d'une embrassade qu'elle aurait voulu lui donner de nombreuses semaines auparavant. Arlo, ou l'image de sa personne, se tourna alors vers elle et leva rapidement une main qui, a la surprise des deux jeunes, se déposa  brusquement sur le torse de Lucia. Elle s'arrêta net, plus prise par l'étonnement que par le contact lui même, et fixa Arlo dans les yeux.

REALITIES (La Communauté de l'Ombre)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant