Le son particulier des gouttes de pluie frappant à sa fenêtre, en ce soir de printemps particulièrement glacial, tira Nill de sa rêverie.
Il était à l'époque âgé de trente-sept ans. Voila déja plusieurs années qu'il avait trouvé, en compagnie d'un homme qui l'avait connue, la tombe de sa femme. Depuis, Nill avait rarement dormi une nuit entière - même après autant de temps.
Fût-ce l'œuvre du hasard, ou le fruit d'un quelconque destin, il se leva du lit: Et alors que trois heures s'apprêtait a sonner, il se dirigea vers la salle de bain. En chemin, il entendit non loin de sa porte de chambre, une conversation des plus intrigantes.
Il vivait déjà depuis ces dernières années, au château impérial ou il relevait les fonctions de soldat. Bien sûr, ce n'était que subterfuge; il travaillait depuis toujours pour les révolutionnaires, et s'était habitué bien aisément à être un agent double. Ce qu'il entendit, cette nuit la, changea toutefois sa perspective des choses à jamais.
Dans le couloir non loin d'où il se trouvait, la voix de deux soldats résonnait faiblement, a peine asser fort pour être entendue a distance.
- Incroyable, disait une première voix, ce qu'on raconte sur ce qui c'est produit hier.
- Effectivement. Tout le monde sait que l'Empereur cherche une personne possédant ces mêmes dons depuis toujours - comme le faisait son père, d'ailleurs.
- Imagines-tu seulement tout ce que cela pourrait rapporter au royaume?
- Passer a travers les mondes? Non, je n'en ai aucune idée.
-Allons. L'empire ne s'y déplace pas dans le but d'étendre son territoire ou d'y trouver de nouvelles ressources, il faut être sot pour croire a ce genre de comptes.
- C'est pourtant ce qu'on raconte.
- Je sais. Mais il y a une toute autre facette a cela. Quelques uns en sont déjà au courant, il y a une vieille rumeur qui date d'il y a longtemps. Apparemment, plus on passe a travers ces univers, plus on se rapproche d'une... irréalité.
- Je ne suis pas certain de comprendre ou tu veux en venir.
- C'est simple, en fait. Plus on en passe a travers différents espace-temps - ou plutôt, plus on y avance - plus on sort du cadre de la réalité.
- Donc?
- Si tu pouvais oublier les lois de la réalité, que rêverais-tu d'obtenir?
La conversation s'était poursuivie, mais Nill avait cessé d'y porter attention. Il était resté figé, les yeux écarquillés, le souffle court. Son corps s'était couvert de sueurs; seulement imaginer, l'espace d'un instant, qu'il y eut une façon, aussi inatteignable soit-elle, de remmener sa femme a la vie, de la revoir un jour, de faire ce qu'il n'avait jamais pu faire le terrorisait, mais l'électrifiait aussi au plus haut point.
Il se devait de réparer cette tare dans sa vie, cette brisure dans son âme, et prendre ne serait-ce qu'un instant sa femme dans ses bras et la consoler de tout le mal qu'on lui ait jamais fait. Il devait, avec elle, vivre le deuil de Nelissa, sa petite fille, LEUR petite fille adorée. Et il ferait tout pour un jour, se retrouver suffisamment loin pour y arriver.
Les années passèrent lentement - Nill travaillait chaque jour pour s'obtenir le plus de crédit possible auprès de l'empire. Il fit tout ce qui était dans son pouvoir pour hériter de plus grandes responsabilités a travers sa carrière militaire. Et, aussi lentement passait le temps, il s'accomplissait avec une grande facilité. Il n'aurait pu compter les situations qu'il avait lui-même créé pour simuler un danger imminent auquel il avait ensuite remédier. Il ne pouvait compter tous les actes héroïques, les petites trahisons qu'il avait même fait a la Révolution pour fournir des informations capitales au Royaume. Mais tout cela l'avait emmené ou il souhaitait être. Au bout de cinq ans, on le nomma général des troupes, et la plus grande confiance lui fût octroyée. Il apprit même le nom de l'Empereur qu'il détestait tant, et se lia d'amitié avec le plus de gens possibles. Jusqu'au jour ou, de façon presque inattendue, on lui confia une mission des plus excitantes.
Ce jour la, Nill était envoyé, avec une petite troupe, sur les frontières actuelles de l'irréel. Il lui faudrait chercher des endroits susceptibles d'être percés pour poursuivre l'avancée laborieuse d'un empire privé de Passeur. C'était des décennies de travail; et presque personne en ce monde n'était allé aussi loin.
Il leur fallurent quelques jours pour se rendre au point le plus lointain: quatres univers à travers lesquels ils passèrent aussi vite que possible. À chaque fois qu'ils trouvaient ces passages aux bordures si minces, si difficilement perceptibles, ils se trouvaient entourés de paysages nouveaux. Les couleurs étaient éclatantes; tout était si différent qu'il leur aurait était difficile d'imaginer les choses ainsi. Des arbres gigantesques d'un bleu poudre aveuglant sous le reflet d'un soleil difforme; un ciel instable, parfois connecté directement avec la terre, dans une étrange masse gazeuse tournoyante, plongeant dans des crevasses sans fond. À partir de la quatrième dimension, ils commencèrent à percevoir des couleurs qu'ils n'avaient jamais vu ou imaginées, et tout ce qui était palpable semblait changer de densité. Passer d'un monde a l'autre avait un effet extraordinaire sur leurs cerveaux - des sentiments violents d'euphorie ou de profonde dépression s'emparaient d'eux à chaque faille qu'ils traversaient; parfois habités d'émotions simples, parfois très complexes. A un moment, ils leur fallut même immobiliser un des hommes qui était en proie a un violent complexe-dieu: le pauvre s'était mis à hurler qu'il était tout puissant et que la Vie en soi lui appartenait. Plusieurs hommes commencèrent a rester derrière, aussi bien que, à partir d'un moment, Nill fut complètement seul, envahi par ce désir profond qui ne lui permettait pas de céder. Et il avança ainsi, abandonné par les autres, en proie à des violents excès de colère ou de tristesse, de regrets et de pulsions sexuelles.
Alors qu'il atteignait une cinquième sphère dimensionnelle, complètement lavé par les sensations et les émotions, il s'arrêta pour vomir violemment. Son crâne souffrait et il avait l'impression de flotter dans l'espace alors que ses deux pieds étaient sur terre. Tout autour de lui s'approchait et s'éloignait à une vitesse folle et il se demandait s'il était encore vraiment en vie. Ses pensées revinrent à sa femme et il s'imagina la serrant dans ses bras. Puis il réalisa qu'il serrait réellement quelque chose contre lui. Pendant un moment, le sentiment de confusion insupportable s'estompa et il sentit un corps sous ses doigts, enveloppé dans une couverture de soie grise. Ce qu'il y avait à l'intérieur, sans même qu'il ait à le voir, le terrifia et l'intrigua d'une façon presque malsaine. Il s'apprêtait à lâcher prise lorsqu'il put entendre, pour la première fois depuis ce qui lui semblait être un siècle, la voix de sa femme.
<Mon tendre Nill...> souffla elle dans un murmure, et le cœur de ce dernier tomba dans un vide insondable, alors qu'il ressentait son étreinte sur cette femme qui représentait la totalité de son univers. Ce fut à ce moment précis que s'éteint Nill, celui qui s'était battu contre le désespoir et la misère qu'avait suivit la perte de sa femme et de sa fille. La fin du Nill qui avait soutenu son grand père dans son excès de détresse et le Nill qui s'était dévoué à la Révolution la moitié de sa vie durant. Dans un souffle nouveau, dans un nouvel état d'esprit qui ne lui était pas dutout propre, il repondit à ce cri du coeur qui sommeillait en lui depuis de si nombreuses années.
<Mon amour, mon ange, ne t'en fais pas. Tout vas bien. Je te redonnerai tout ce que nous avons été... Et quand nous serons enfin prêts, toi et moi, nous irons chercher notre petite Nelissa et nous retournerons vivre dans notre vieille maison, comme si rien ne s'était jamais passé...>
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REALITIES (La Communauté de l'Ombre)
ParanormalPourriez-vous un seul moment, vous imaginer passer votre vie à fuir l'endroit où vous auriez aimé la vivre? C'est le cas de Dante, un adolescent qui, durant son enfance, voit ses compatriotes dans un village situé au nord de l'Espagne, mourrir d'une...