REALITIES (La Communauté de l'Ombre)

Chapitre XXXII - Tue Les, Mon Amour

- Tue les, mon amour, siffla Nill d'une voix brisée.

Chess, qui se penchait déjà sur le corps de Milo, n'eut même pas le temps de réaliser ce qui se passait. Il y eut un flash rapide, presque imperceptible; seul Dante, d'ailleurs, sembla le remarquer. Automatiquement, elle fut sur lui, comme si elle s'était téléportée, comme si en un seul instant, elle s'était trouvée a un autre endroit.

En fait, elle était extrêmement près des garçons. Sa forme linéaire scindait l'espace entre Chess et Milo, qui étaient déjà si près l'un de l'autre qu'il semblait impossible de se tenir entre les deux. A vrai dire, elle semblait se tenir en partie a travers eux; et bien que le moment fût très bref et que les choses se déroulèrent très vites, Dante aurait pu jurer que le bras de Chess passait au travers de ses jambes.

Ce fut l'affaire d'un moment: Soudainement, ses bras étaient ouverts, comme désireux de prendre Chess dans une macabre étreinte. Devant les yeux de tous, le jeune homme disparût alors - et Dante put la voir partir avec lui.

- Chess! S'écria Rory avec horreur.

Tous semblèrent paralysés par la stupeur - mais l'instant suivant, elle était revenue.

- Prend les tous, ordonna Nill avec une voix si calme qu'elle fit frissonner Dante.

Encore un flash, et elle se tenait maintenant près de Rory. Dante tenta un mouvement dans sa direction, mais ce fût trop tard; déjà, elle s'était volatilisée, comme Chess l'avait fait avant elle. Cette fois, même Milo, couché dos au sol, poussa un cri désespéré. A travers sa respiration sifflante causée par la douleur, Dante pût entendre un sanglot.

Dante se força a agir avant qu'il ne soit trop tard. Surmontant l'horreur qui le clouait au sol, il bondit vers Cerys et la saisit par les épaules. Elle était la, anormalement maigre, et grande, et aussi terrifiante que si elle avait eu des yeux pour le foudroyer du regard, debout a quelques millimètres derrière Cerys. Dante sût qu'il n'avait que cet instant pour agir.

Il la poussa vers la caravane. Elle leva les bras. Il disparut.

***

L'effet fut le même que d'être projeté à travers le ciel par un canon, rien de moins. La seconde ou Dante fût transporté, il lui sembla qu'il allait mourir; puis vint une nausée dont l'adolescent n'eut pas le temps de se préoccuper parce que, malgré l'obscurité effrayante dans laquelle il était plongé, il arrivait a sentir sa présence, la texture moite de sa peau suintant tout près de lui, son regard sans yeux aucuns. L'adrénaline dans son corps pris le dessus; il se jetai sur le côté, ne désirant que mettre de la distance entre eux. Sans le vouloir, il se lança presque directement sur un corps au sol - celui de Rory. Elle avait les yeux ouverts et remplis de larmes; ses mains étaient plaquées sur sa bouche pour ne pas hurler.

Dante sentit des mains - ou plutôt des os - se refermer sur son cou et il eut l'impression que quelqu'un lui avait placé des glaçons sur la peau. Il repoussa les bras pour se dégager et fit face a cette horreur qui semblait vouloir saisir bien plus que son corps.

Devant lui, il n'y avait plus ce visage lisse, dépourvu de traits. Il y avait un trou énorme; un espace béant, comme une mâchoire qui se serait disloquée pour s'assurer de pouvoir tout mordre d'un seul coup. Et des dents humaines. Avec un peu plus de temps, Dante aurait remarqué des incisives, des canines et des prémolaires. Même dans un monde qui lui était étranger, elle lui sembla incongrue; un frisson d'effroi lui parcouru l'échine et il se revit combattant Cadius, l'assassin qui avait tué Enzo. Il ressentit la même panique, la même urgence de rester en vie alors qu'elle s'apprétait a sauter sur lui.