7. Amertume

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Hormis sa chambre, Enzo possédait une pièce bien a lui qui lui faisait office de petit salon. C'était une pièce qui n'était seulement éclairée que par une cheminée de petite taille. Cette chambre était encrée bien profondément dans la montagne, et une certaine pesanteur caractérisait la salle, toujours plongée dans une semi-obscurité qui s'avérait apaisante. C'était la pièce ou Enzo avait consacré le plus d'énergie; toutes ses parois, de la cheminée au plafond, affichaient des fresques représentant des loups et des bêtes sauvages. Les détails étaient magnifiques et obnubilants; les enfants s'y étaient souvent retrouvés, les nuits d'orages, lorsqu'ils n'arrivaient pas à s'endormir. Il y avait, dans cette pièce, une aura relaxante et hypnotisante qui envoûtait quiconque y entrait.
Enzo était assis à une table dans un coin, où il travaillait sur un outil de sculpture. Les années avaient transformé ses mains en les parsemant d'une corne épaisse et en leur donnant une forme plus noueuse, affligée par le temps et le travail.
Il se leva à leur arrivée. Lucia était déjà assise devant le feu, travaillant rêveusement sur un morceau de cuir tanné.

- Comme vous avez pu le voir, commença Enzo en s'asseyant près de Lucia, je suis rentré bien tôt ce mois-ci.

Il les regarda un instant, à travers la pénombre. Si les traits des enfants s'étaient raffinés avec les temps, les siens avaient vieilli; et malgré son âge tout de même jeune, on pouvait facilement déceler sur son visage les marques du temps, de la fatigue et du labeur.

- C'est parce que je trouve inutile - ou plutôt, inadéquat - de continuer à le faire. Avec les années, je vous ai appris à contrôler votre mental et transformer vos pensées en une réalité. Vous avez commencé à vous en servir dans votre vie quotidienne, et c'est quelque chose qui me rend extrêmement heureux. Vous voir ainsi développer toutes ces capacités à un si jeune âge est une très bonne chose.

Effectivement, Enzo leur avait enseigné plusieurs choses qui leur servait dans leur quotidien. Dante se souvenait aisément de leur première séance avec lui, dans cette même pièce, cinq ans plus tôt.

Tous les enfants, alors âgés de dix ans, s'étaient attroupés hâtivement près d'un plus jeune et plus chétif Enzo, et il leur avait parlé longuement de se qu'était ce qu'on appelait les arts de l'occulte. Avec patience, il leur avait appris comment enclencher la partie de leur cerveau qui permettait de concrétiser leur imagination et la transformer en action réelle. Il les avait fait méditer pendant des heures; et seul Arlo, au final, avait atteint un résultat. Enzo avait placé une chandelle devant chacun d'eux et ils devaient l'éteindre sans faire un moindre mouvement. À un moment, Arlo l'avait éteint et tout le monde s'était réjoui d'avoir enfin un résultat. Les enfants, qui voulaient s'assurer que c'était bien possible et que ce n'était pas un coup de chance, ou simplement un coup de vent, s'étaient montrés sceptiques. Mais Enzo éteint les autres chandelles en claquant des doigts. Il leur expliqua ensuite que les choses ne se créaient pas à partir de rien; qu'on ne pouvait pas éteindre une flamme seulement en la regardant; Il fallait, comme Arlo l'avait compris, se baser sur la science et les lois de la nature pour y arriver. Le garçon exprima qu'il avait pensé de cette façon aussi, et qu'il avait simplement essayé, plutôt que de se concentrer à éteindre la flamme, d'essayer de couper l'oxygène dans l'air près de la chandelle. Il ne pouvait dire comment il l'avait fait, mais il avait tout de même réussi l'exploit.

Les enfants en étaient ressortis tout ragaillardis et excités; ils avaient passés des heures ensuite, à essayer d'autres expérimentations simples qui s'étaient presque toutes soldées par des échecs.

À travers les années, leur niveau était devenu beaucoup plus respectable. Ils savaient contrôler l'air ambiant et ses composants; la chimie qui créait une flamme, l'énergie des plantes et même la chimie très complexe d'un cerveau, entre autres. Chacun s'était découvert des sphères ou ils était particulièrement doués; alors qu'Enzo était un maître pour ce qui était de l'air et de ses composants tel l'oxygène et le monoxyde de carbone, Arlo s'était spécialisé dans la température et la croissance des plantes. Lucia s'avérait très forte avec le contrôle des flammes, pouvant faire apparaître un feu de cheminée dans un claquement de doigts. Aussi, ses capacités de communication avec les animaux étaient aussi sensationnelles dût au temps qu'elle avait passé avec les félins. Dante, lui, avait toujours eu envie d'explorer des sphères plus complexes. Il avait appris à contrôler son ombre avec une facilité déconcertante; il pouvait même lui octroyer un certain niveau de consistance. Il essayait aussi fortement de contrôler la gravité, et il lui fallut de nombreuses années avant d'être capable d'en comprendre le fonctionnement. Modifier la densité des choses était selon Enzo, une capacité très difficile à comprendre puisqu'elle demandait une compréhension des choses au niveau moléculaire. Dante disait souvent que, loin d'en comprendre le côté scientifique, son corps et son cerveau comprenait naturellement le fonctionnement de ces sphères plutôt complexes. Après tout, un enfant qui apprend à parler ne comprend pas qu'il faut bouger ses cordes vocales; il le fait, simplement, presque par instinct.

REALITIES (La Communauté de l'Ombre)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant