Chapitre XIX - Une Pluie De Chairs

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Se retrouver subitement devant une foule de plus de dix mille personnes aurait facilement pu être là chose la plus stressante que Dante ait jamais eu à vivre - mais être acclamé comme un héros par une population entière - qu'il n'avait encore jamais - vu ne pouvait être que plus inquiétant encore.

Le jeune homme n'avait aucune idée de la façon dont l'Empereur, souriant nonchalamment près de lui en saluant le publique de la main, aurait voulu qu'il réagisse.
Dante y alla par instinct - il leva une main en signe de salutation vers les milliers de personnes en contre bas, euphoriques par sa seule présence. Ce simple mouvement eu un effet particulier envers la foule qui éleva le débit déjà élevé de cris admiratifs. Dante se sentait réellement tout petit face à tout cela.

Il dut tout de même noter une chose, malgré la confusion qui habitait son cerveau fatigué - ces gens en contrebas étaient des paysans - à première vue, des gens simples et loin d'être bien nantis. Ils se tenaient tous sur une immense place publique devant le château (Dante pouvait maintenant constater à quel point il était large, à un point absolument ridicule) mais derrière eux, une ville à l'aspect rustique et ancienne se dressait comme une ombre face au géant de pierre qu'était le palace dans lequel Dante se tenait. Malgré la lumière bien présente du matin, il put distinguer ces grandes tours qui servaient de torches géantes. Comme celles qui se trouvaient sur le tableau, quelque part perdu dans la cave du pub de Castellfollit de la Rocca.

Le peuple démontrait toujours cet enthousiasme que Dante trouvait presque malsain quand l'Empereur, debout près de lui, entama un discours sur un ton enflammé;

- Peuple de la frontière, notre misère achève! Le joug de terreur des rebelles touche maintenant à sa fin, et les ressources de ce pays nous reviendrons finalement! Grâce au Passeur, le pouvoir que nous acquierrons nous défendra de toute menace, et alors, le peuple reprendra ce qui lui appartient de droit!

Sitôt eut-il terminé sa phrase que quelque chose vint perturber cette expérience irréelle; une détonation, puissante, enterrant tout autre bruit aux alentours, retentit comme un coup de tonnerre juste au pied du balcon ou ils se tenaient. Dante put percevoir, alors qu'il se penchait dans un réflexe naturel pour se protéger, des choses voler dans les airs - et il comprit que ces choses en question étaient des gens dans le publique.

Aussitôt, un vent de panique vint alimenter une véritable tornade d'effroi; la masse de gens sur la place commença à s'éparpiller comme une traînée de poudre, affolée mais toujours sous le choc d'violence aussi subite. À sa gauche, Dante entendit l'Empereur ordonner quelque chose à ses gardes avant de se retourner et partir promptement, laissant le jeune homme seul sur le balcon, devant le désastre qui avait fouetté la foule.

Il ne fallut qu'une seconde au Cerveau de Dante pour associer instinctivement l'incident à Nicolaï. Il se précipita à l'intérieur de la tour ou les quelques personnes qui y étaient restées s'étaient rassemblés pour prendre ce qui semblaient être des notes - probablement des journalistes ou quelque chose du genre - leurs grifonages étaient précipités mais tous semblaient y ajouter leur grain de sel. Gabriella se trouvait dans la pièce aussi, et elle se dépêcha de le rejoindre lorsqu'elle l'aperçut.

- Il est de ma responsabilité d'assurer ta sécurité, alors s'il te plaît, suit moi, lui dit-elle d'un ton précipité.

- Gabriella, il faut tout de suite aller vérifier que Nicolaï se trouve toujours dans sa chambre! S'il s'est échappé, il pourrait tuer des centaines de personnes!

La femme prit un instant pour considérer l'hypothèse. Ses yeux regardait Dante sans le voir, évaluant les risques et les probabilités. Une main jouait nerveusement dans ses cheveux.

- Allons y, mais reste toujours derrière moi et ne tentes rien de stupide.

Sitôt dit, ils se lancèrent vers la cage d'escalier. Descendre les marches fut infiniment plus rapide que les monter; en a peu près une minute, ils rejoignirent le palier inférieur, et coururent vers les chambres sécurisées ou Nico était sensé être.

Il leur fallut plus ou moins quinze minutes pour s'y rendre au pas de course. Essoufflés, ils rejoignirent enfin la chambre où Dante avait passé la nuit, mais quelque chose avait définitivement changé.
La porte était grande ouverte.
Nicolaï était en cavale.

Tout de suite, Gabriella tira une fiole de l'une de ses gances et la porta à ses lèvres. Dante perçut le reflet verdâtre du petit objet qui semblait déjà avoir un certain âge. La femme soldat y dicta un message.

- Le résident #2 de la chambre 67 c'est enfui. Il est dangereux et a déjà pris de nombreuses vies. Potentiel coupable de l'attentat de la place publique. Usez des plus grandes précautions à votre dispositions.

Puis elle referma la bouteille et la remit à sa ceinture.

- J'ai envoyé un message a tous les officiers. Ils sont au courant pour Nicolaï.

À ces mots, la fiole émit un étrange vrombissement et Gabriella la reprit aussitôt, l'ouvrant devant elle. Une voix étrange, lointaine et étouffée en sortit, portant toutefois un message bien clair.

- Le résident #2 de la chambre 67 a été retrouvé. Veuillez rejoindre les quartiers généraux.

Gabriella et Dante échangèrent un regard surpris pendant un instant. Ça avait été plus rapide que prévu.

- Eh bien, allons y, bordel, laissa tomber Dante, dépassé par la situation.

Tous deux filèrent vers le quartier général. Pendant leur course, Dante ne put s'empêcher de penser qu'il avait parcouru une distance incroyable aujourd'hui, sans jamais toutefois sortir du château. C'est comme si cet endroit s'étendait à l'infini.

Ils finirent par atteindre le QG une dizaine de minutes plus tard, Dante sur les talons de sa protectrice qui avait ouvert le pas.
À bout de souffle cette fois, ils passèrent la massive porte de fer qui ne laissait probablement pas passer beaucoup de civils comme Dante en temps normal.

Ils furent accueillis par de violents flash lumineux, et Dante put sentir Gabriella se raidir à côté de lui. Mais ceux ci étaient loins d'être une menace, et n'étaient même pas tournés vers eux.

Il s'agissait en fait de grandes caméras photos sur trépieds, capturant une image pour le moins insolite.
Appuyé contre le mur, souriant distraitement, Nicolaï posait pour les journalistes, sa lame reposant fièrement sur son épaule.

REALITIES (La Communauté de l'Ombre)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant