Chapitre XXI - Ne Connaître Que La Nostalgie

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Lorsque l'Empereur prononça ces mots, tous à la table se redressèrent sur leur chaise. Dante regarda les six personnes devant lui; tous au dessus de la cinquantaine, bien facilement, sauf une femme qui ne semblait pas avoir plus de vingt cinq ans. Dante se dirigea vers eux, inquiet. Il se sentait prisonnier dans quelque chose qui ne le concernait pas.
Cette voix attirante à laquelle il ne s'habituait jamais retentit derrière lui, résonnant sur les murs froids et dénudés comme des coups de marteau. Au dessus deux, un imposant lustre de métal éclairait leurs alentours d'une façon vacillante, presque aussi fébrile que la tension qui s'élevait alors que les mots de l'homme de pouvoir explosaient à leurs oreilles.

- Nous avons aujourd'hui une nouvelle pièce dans cet immense puzzle, probablement la plus grande que nous n'ayons jamais obtenue.

Dante sut qu'on parlait de lui, et se sentit comme un objet dont on pouvait débattre ouvertement.

- Commençons pas le plus important. Il y a plusieurs années déjà, mon père a initié les recherches dans le but d'obtenir une porte d'entrée plus efficace vers le Centre. Aujourd'hui encore, je convoite l'Irréel plus encore que mon père ne l'ait jamais désiré. Mais les limites qu'il comptait imposer à son peuple sont une preuve évidente du manque d'ambition qui a toujours été un de ses plus grands défauts. Je vois, d'une vision plus jeune, plus dynamique, un royaume plus puissant et plus uni. Mon clan et moi même avons déjà planifié toutes choses en détails et il ne manque maintenant qu'à le mettre à exécution. Il y a longtemps de cela, mon père vous a assigné la responsabilité du passage à travers la réalité - tous sauf vous, bien sûr, Ilia, dit il en offrant un sourire formel à la jeune femme assise devant lui.

- Mais vous voilà tous maintenant confrontés à mon règne que je désire être diplomatique.

Dante le vit, du coin de l'œil, n'osant pas le regarder en face, relier et éloigner les doigts de ses deux mains sans arrêt, comme s'il attendait quelque chose des gens assis à la table. La façon dont il soulevait constamment ses talons et se laissait retomber au sol indiquait une nervosité palpable.

- Cependant, jai moi même mis la main sur le passeur et je ne nécessite plus d'aide extérieur autre que la sienne. Comme vous avez... Toujours rempli vos amendements en bonne et due forme, je ne peux vous dissoudre ainsi brutalement et vous laisser sans quoi que ce soit en retour. Je vous propose donc ceci; à partir de maintenant, laissez moi l'entière responsabilité de m'occuper de l'affaire sans remettre en question mes méthodes. En contrepartie, je vous récompenserai largement lorsque nous aurons percé les barrières du réel. Et je n'ai qu'une parole.

Personne ne lui répondit sur le champs mais Dante put voir la jeune femme esquisser un sourire. Au bout de la table, deux hommes fronçaient les sourcils.

- Monseigneur, s'avança l'un d'eux, avec tout le respect qui vous est dû, votre père nous a laissé la tâche dans le but de diviser la répartition d'un pouvoir tro-

- LAISSEZ MOI FAIRE CE FOUTU TRAVAIL DE LA FAÇON QU'IL ME CHANTE!!!

Tous se figèrent automatiquement, comme choqués par l'excès subite de colère généré par l'Empereur. L'homme qui avait parlé n'osa en aucun cas continuer son explication. Le jeune homme put voir des gouttes de sueur humidifier le rebord de son col.

- Jessen, demanda plus calmement l'Empereur.

Un homme de la taille d'un rocher entra dans la pièce, juste derrière Dante qui dut se pousser pour laisser passer le massif garde.

- Ciron à asser servi le royaume.

Le regard de Dante se retourna anxieusement vers le vieil homme et ce seul coup d'œil lui confirma qu'il s'agissait hors de tout doute de Ciron. Les choses se passèrent très vite. Jessen ne nécessista que de trois pas pour combler l'espace entre la table et lui, où il saisit le vieillard par le col et le tira à lui, l'entrainant ainsi par dessus la table. Tous le regardèrent s'éloigner avec un Ciron qui se confondait en explications, une note de panique compréhensible dans la voix.

Une porte claqua lourdement derrière Dante, qui n'osa pas suivre les deux hommes des yeux. Le silence qui les écrasa à ce moment fut le plus lourd auquel l'adolescent fut confronté de sa vie; teinté d'un malaise et d'une peur étouffée, laissant chacun comprendre comment se dérouleraient à présent les choses.

- J'imagine que personne d'autre n'est prêt à prendre congé si tôt.

Aucune réponse. L'Empereur sourit avec franchise, comme s'il était soulagé.

- Je pense donc que la décision est unanime? J'en suis ravi. Nous commencerons l'avancée vers le Centre la semaine prochaine, jour pour jour. Mon clan pourra alors se mettre à l'oeuvre, et à sa tête, nous irons plus loin que nous ne l'avions jamais espéré.

Alors qu'il se retournait et sortait de la pièce, Dante se sentit plus incapable de contrôler son destin qu'il ne l'avait jamais été auparavant.

***

Le reste de la journée, Dante resta éteint comme une bougie dont la mèche aurait rendue l'âme. Il lui fallut un long moment pour retrouver le chemin jusqu'à sa chambre, mais en réalité, il n'avait pas tant essayé de le trouver. Les yeux dans le vide, il imaginait déjà sa vie prendre une tournure encore plus grise qu'elle l'était déjà. Il n'avait peut être pas eu une enfance rêvée, mais Monte Perdido lui manquait énormément. Depuis la mort d'Enzo, il se sentait horriblement seul. Lorsqu'on l'avait emmené de force à la Frontière, il avait tout perdu.

De retour dans sa chambre, Dante détailla chaque objet qui l'entourait, et une pointe d'ironie traversa son cœur. Lorsqu'ils s'étaient installés dans la montagne, plusieurs années auparavant, il aurait tout donné pour quelque chose de plus luxueux. Et maintenant qu'il l'avait, il ne désirait que retrouver ce mode de vie simple, modeste... Mais entouré des gens qu'il aimait.

Les hommes de la frontière avaient beau lui avoir fait comprendre qui Enzo était vraiment, Dante se dit que, tout de même, il lui était reconnaissant de lui avoir fait connaître une vie marquée par un amour et une dynamique familiale extraordinaire.

Dante s'approcha du sofa ou Nicolaï s'asseyait habituellement. Ce Nicolaï. Se sentait-il seul, parfois, ou était-il aussi inhumain qu'il ne le paraissait? Bien sûr, Dante n'avait aucune raison de l'aimer - Il avait tué sa famille et avait été exécrable lorsque Arlo et lui avaient sauvé sa vie. Mais bon, peut être qu'a quelque part, c'était un humain qui souffrait comme les autres.

***

Dante se réveilla en sursaut. Il avait fait un cauchemar étrange où, ceint d'une nausée intarissable, il passait à travers toute surface solide avec laquelle il entrait en contact. La sensation était horriblement désagréable et il avait l'impression qu'il allait se noyer à chaque fois où le sol, pâteux, s'enfonçait sous le poids​ de son corps.

Il se frotta les yeux, et constata que faisait déjà nuit. Quelques bruits dans le château autour lui firent cependant croire qu'il ne devait pas être passé vingt trois heures. Il se leva péniblement.

Puis s'arrêta dans son mouvement.
Il était la, encore une fois. Assis devant lui, dans le sofa qui lui faisait face, tel le reflet d'un souvenir, dévoilé par la lumière nocturne.

Arlo le regardait d'un visage impassible.

REALITIES (La Communauté de l'Ombre)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant