9. Dardière

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Dante se souvenait vaguement d'un chariot en particulier et de l'homme qui le poussait. Il l'avait aperçu, sept ans plus tôt, la journée ou tout avait basculé. Lorsqu'il avait fui le village pour aller explorer la vallée après s'être fait renvoyer de sa classe, il était tombé sur lui, et avait ressenti alors un très mauvais pressentiment à son égard.

Ce n'était que maintenant qu'il approchait vers Arlo et lui que Dante comprenait qu'il avait probablement tenté de l'enlever plusieurs années plus tôt. Malheureusement pour les deux garçons, la plazza centrale étant beaucoup trop bondée à l'époque ne l'était malheureusement plus.

Il avait abandonné son chariot et marchait maintenant vers eux d'un pas lent, calculé, mais abstrait de toute crainte. Sous son capuchon, Dante pouvais voir des goutes de sueur perlant sur des lèvres sèches et fendues. Bientôt, il réalisèrent tous deux qu'il n'était pas seul; d'autres hommes, habillés d'étranges vêtements aux couleurs fades et délavés, sortaient lentement de l'ombre pour s'approcher d'eux. Dante et Arlo se mirent dos à dos, tentant désespérément de trouver une issue avant d'être complètement encerclés.

- Je pense qu'il va falloir se créer un passage, souffla Dante entre ses dents. Ils se devaient d'agir rapidement.

Le groupe d'hommes se rapprochait, les encerclant lentement, sans mouvement brusque. Les garçons purent sentir une pression étrange peser contre leur nuque, comme si l'air était devenu plus lourd. Leur démarche était pressante, et sous les étranges parures provenaient des murmures et des sons marquant une notable excitation, comme s'ils avaient enfin trouvé quelque chose qu'ils avaient cherché assidument. Les garçons comprirent que leurs doutes étaient fondés.

Un frisson parcourant son échine, Dante se força à réfléchir. Il avait besoin d'établir une stratégie défensive au plus vite. Il analysa la situation - Un vent chaud agitait leurs cheveux, quelques plantes poussaient à travers les tuiles au sol. Le bruit distant des oiseaux, au loin, brisait le silence. Le soleil s'étant couché, aucune ombre ne paraissait au sol. La seule source de lumière leur venait d'une lune en croissant, et des étoiles dans un ciel dégagé. 

Il baissa la tête et se concentra l'espace d'un instant, prenant le temps de calculer la direction du vent. Il lui fallait l'intensifier le plus possible. À quelques mètres de lui, un des hommes encapuchonné tituba sur le côté, saisi par une puissante bourrasque, et dut protéger son visage avec ses bras. 
Arlo comprit aussitôt la manœuvre. Il se concentra sur les mouvements du vent, puis décida d'accentuer son effet dans un secteur particulier. Malgré le fait qu'il avait fermé les yeux, il put sentir son ami se ruer vers l'avant, en utilisant l'impulsion du vent. 

Le mouvement d'air donna à Dante un élan considérable; il passa entre deux de leurs assaillants dans une vitesse fulgurante. Derrière lui, Arlo s'était également élancé, profitant du courant créé par son ami. Dante, poursuivant sa course, prit une seconde pour jeter un œil derrière lui. Il vit Arlo courir, tenter de se frayer un passage à son tour, mais il dût s'arrêter alors que l'homme qui s'était protégé du vent plus tôt s'était placé devant lui et le reçut de plein fouet.
Les autres hommes formant le cercle se ruèrent sur lui, et Dante pût entrevoir l'éclat de quelques dagues tirées de leurs manches.

Dante dut s'arrêter dans sa course. Il ne pouvait fuir et laisser son ami derrière; mais il faisait si sombre qu'il percevait à peine qui était qui; horrifié, il réalisa qu'il n'avait aucune idée quoi faire. Il n'avait qu'une fraction de seconde pour réfléchir et, à court de temps, il prit sa tête a deux mains et se pencha de manière a ce que son front touche ses genoux. Dans un effort mental qui lui donna l'impression que sa tête allait exploser, il se concentra sur une seule pensée. Il imagina, devant lui, les hommes encapuchonnés céder sous une gravité trop forte pour les laisser tenir debout. Il y mit tellement d'effort qu'une bouffée de chaleur gigantesque le saisit; le sang lui était monté à la tête, et il se mit à saigner abondamment du nez.
L'effet ne fut pas exactement celui espéré; mais il fut du moins suffisant. Les six hommes, maintenant tout près d'Arlo avaient titubé vers l'avant dans l'espoir de ne pas chuter dans leur élan, comme si on les avait tirés vers le sol. Arlo semblait en souffrir lui aussi; mais étant habitué aux machinations de son ami, il eut une infime opportunité de s'échapper avant que les autres ne se ressaisissent. D'un bond, il esquiva l'homme qui lui barrait la route et se dépêcha de regagner le côté de Dante.
Son ami, d'ailleurs, était en bien mauvaise condition.
Dante était en proie a une violente nausée. Son nez saignait toujours abondamment, et sa tête lui donnais l'impression qu'elle allait voler en éclat. Une douleur cuisante l'empêchait de penser clairement; il leva les yeux vers l'obscurité devant lui et fut soulagé de voir Arlo à ses côtés; mais il ne pouvait même plus voir leurs agresseurs devant lui. Sa vision était trouble et il se sentait étourdi.

REALITIES (La Communauté de l'Ombre)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant