II

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J-20

L'accès au bureau privé de Maman se trouvait pas loin de la chambre des parents, dans une dépendance. Quand ils avaient fait construire sur mesure leur demeure, ils avaient préféré qu'elle puisse recevoir des patients dans la maison. Elle ne l'utilisait pas tant que ça, enfin, pour ses consultations extérieures. La plupart du temps, elle les prenait dans un centre médical au cœur de la ville, entourée de ses pairs. En ce qui me concernait, je connaissais cette salle de travail que trop bien.

Nous arrivions dans la pièce et je quittai la décoration moderne et minimaliste du logis pour rencontrer le bordel de son cabinet de médecine générale. Voilà pourquoi elle ne venait jamais ! Entre les tiroirs remplis d'appareils, les feuilles volantes de mon dossier étalé sur ses tables, et des ordonnances écrites en hiéroglyphes placées un peu partout, on ne s'y retrouvait pas.

C'était assez pratique d'avoir un membre de la famille capable de produire des ordonnances immédiatement lorsque quelqu'un souffrait, je ne le cacherais pas. Par contre, je ne vous dis pas l'horreur d'avoir quelqu'un qui vous colle au basket 24 h/24 parce que tu as mangé deux nachos.

Évidemment, ma mère représentait la perfection incarnée. Elle était intelligente, musclée, et stratège. J'aurais voulu hériter de ce combo de qualité là, plutôt que ceux que Dieu avait décidé de m'octroyer.

Elle me fit signe de m'asseoir à mon tabouret (c'était le mien à ce stade, tellement je venais ici). Je m'obéis, et me laissai porter par les contrôles routiniers prodigués par ses mains expertes.

— Comment ça se passe, à l'école ? Tu ne fais pas de crises ?

— Non, le traitement a l'air de fonctionner. J'ai de la chance, on dirait.

— Ce n'est pas de la chance, mais de la science, ma petite, me dit-elle alors qu'elle sortit un stéthoscope d'un tiroir bondé de son bureau. Ta pauvre mère n'a pas étudié la neurologie toutes ces années pour qu'on lui dise que c'est le hasard qui guérit.

— Oui oui, Maman. Mais ne t'inquiète pas, je vais vraiment bien. Je veux pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué, mais je pense que je n'ai plus besoin que tu surveilles mon épilepsie au quotidien.

Elle fit la moue, puis se mit l'embout en caoutchouc dans l'oreille.

— C'est important, la prudence. Je ne sais pas si je pourrais te lâcher de sitôt. Tu es précieuse pour moi, Pauline, tu comprends ?

Mon cœur s'emballa.

Heureusement qu'elle ne l'a pas encore mesuré...

Je ne m'attendais pas à ce qu'elle me témoigne autant d'affection. C'était soudain, et un peu étrange, venant de cette beauté froide. Je ne voulais pas qu'elle sente mon stress ou quoi que ce soit, alors je fermai la bouche et espérai que mon cœur reprenne son battement normal avant qu'elle y pose sa machine. Maman n'avait pas à savoir que j'étais nerveuse en sa présence. Je ne voulais même pas imaginer les retombées si elle le découvrait.

Elle commença l'auscultation, et je pensai à autre chose pour que les résultats ne diffèrent pas de la norme. Je pensais à Armand, à Blasée, et au tour de la pièce que je devais lui donner.

Elle gloussa.

— Hein, qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi tu rigoles ?

Étais-je débusquée ?

— Je te lâcherai bien un jour, mais pas maintenant. Quand tu te trouveras un bon mari et qu'il te traitera aussi bien que nous, là tu pourras souffler. Il va falloir y songer vite. C'est bientôt la fin de tes études, et les jumeaux sont de beaux jeunes hommes qui n'attendront pas toutes leurs vies...

Rendez-vous avec le malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant