IX

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J-18

Le rendez-vous s'était terminé dès que nous avions fini nos desserts. Nous ne discutions plus de toute façon, et nous ne nous occupions plus que d'engloutir les pâtisseries du café Mama en silence.

Ça avait été un silence ni confortable, comme pour un couple de longue date, ni inconfortable, comme avec de nouveaux amis. J'avais passé tout simplement du temps à réfléchir à la proposition de Denise et à la marche à suivre.

Elle avait réglé pour nos deux consommations, et je pus ensuite m'en aller de cette étrange rencontre sans plus de cérémonie.

Sur le chemin du retour, je ressentais une mixture d'émotions contradictoires. Mi-joie, mi-peine, et une pincée de confusion pour assaisonner le tout.

J'étais heureuse d'avoir rencontré, enfin, d'avoir revu Denise. Cela faisait longtemps, je le sentais. Au moins plusieurs années séparaient notre dernière entrevue, et la sensation de retrouver une ancienne amie me réchauffait le cœur. Elle était aussi sacrément belle, et le fait d'avoir une telle femme me demandant de rester à ses côtés me rendait toute chose. Une partie de moi-même espérait que cette soudaine attirance n'était pas à sens unique. En analysant son comportement, certains pourraient affirmer sans rougir que Denise avait le béguin pour son amie d'enfance.

J'étais déçue de moi-même, en même temps. C'était surtout le cas à cause des sentiments positifs qui accompagnaient une partie de ma vision de Denise. Comment je pouvais être heureuse de retrouver quelqu'un qui faisait du mal sans sourciller ? Étais-je un monstre ? Une autre partie de moi ne pouvait s'empêcher d'associer Denise aux cicatrices de Bernard. Que dirait-on d'une femme qui restait volontairement aux côtés de quelqu'un de dérangé ?

Au milieu de ces deux émotions, déjà paradoxales, se trouvaient encore d'autres sentiments :

J'étais fière de moi. J'avais réussi à maintenir le contact avec elle. J'étais avancée d'un pas de plus pour comprendre les secrets derrière le passé de mes parents, et celui de Denise. Sa proposition de collaboration pourrait être le début d'une enquête plus poussée sur la question.

J'étais, en même temps, mauvaise en enquête. Je n'avais pas pu découvrir quoi que ce soit. Le secret avait été à peine abordé, et je n'étais pas plus avancée sur les intentions de mon amie. La seule chose que j'avais réussi à faire, c'était de gagner en confusion à chaque minute de ce rendez-vous incompréhensible. Du début à la fin, je ne m'étais attendue à rien de ce qu'il s'était passé.

La partie la plus étrange, celle dont j'arrivais moins à mettre du sens dessus, était la proposition de la jeune fille. Quand elle me tendait la main pour signer une collaboration entre nous, elle disait vouloir m'avoir de son côté, oui, mais pour quel but ?

J'arrivais à un passage piéton indiqué en rouge. J'en profitais pour rester immobile, afin de mieux penser.

J'avais promis à Denise de bien réfléchir à son offre. Et c'était précisément ce que j'allais faire.

Je visualisai les différentes raisons pour lesquelles elle m'avait tendu la main plus tôt.

Était-ce pour mieux m'utiliser ? Elle aurait pu faire ça afin de se servir de moi comme une arme, d'une façon ou d'une autre. Je pouvais être le doigt qui appuierait sur la gâchette contre la vie de ma famille. Et peut-être sans même m'en rendre compte.

Peut-être qu'elle me l'avait proposé pour me persuader qu'elle ne faisait que les bons choix ? Afin que je ne fasse rien pour sauver ma famille, tant je serais obnubilée par une rage qu'elle m'aurait partagée.

Ou sinon, peut-être qu'elle le faisait pour me piéger et me faire croire qu'elle était de mon côté, quand elle avait bel et bien prévu de me poignarder dans une ruelle sombre ? Me tuer ferait souffrir Papa. C'était un bon moyen de pression.

Rendez-vous avec le malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant