Rendez-vous avec le mal

VII

J-19

Pour comprendre les secrets de la maisonnée et apprendre la vérité sur cette sombre affaire, je devais retrouver la personne qui prétendait tout savoir de mes parents.

Peut-être que si je l'identifiais, peut-être que si je parvenais à suivre ses traces et la coincer, je pourrais lui demander pour quelle raison elle s'acharnait sur ma famille.

Peut-être que si je parvenais à la retrouver, toute cette situation pouvait se terminer enfin. C'était peut-être naïf de penser qu'une personne capable d'infliger des blessures qu'on doit soigner à coups de points de suture pouvait se calmer avec une simple discussion, mais ça n'allait pas m'empêcher d'essayer.

Je ne disposais pas d'autres armes à mon arsenal que mon cerveau et ma détermination. Et je comptais bien les utiliser.

Pour commencer, je devais la retrouver, et comprendre qui elle était. Ça n'allait pas être une simple tâche, mais je devais le faire. Je ne pouvais pas laisser le maître chanteur semer le doute en moi et le laisser détruire et séparer ma famille. Je le faisais pour Papa. Pour Maman. Et pour Armand, surtout.

Nous n'étions pas parfaits, c'est vrai. Et nous étions pas les plus exemplaires, aussi. Surtout maintenant que j'avais découvert une des parties les plus sombres de leur passé. Mais c'était ma famille, et j'allais la protéger, coûte que coûte. Quoi qu'ils aient fait.

Je déposai mon assiette sale et les couverts dans le lave-vaisselle de la cuisine. En refermant la machine, mes doigts restèrent un peu plus longtemps dessus. Je restais immobile, sur le carrelage de la pièce, à réfléchir à mes prochains mouvements.

On ne déplaçait pas un pion sur un jeu d'échecs par hasard. Il devait y avoir une stratégie.

Qu'allais-je faire ? Où allais-je aller ? C'était essentiel que je me prenne un temps pour réfléchir à mes prochaines actions avant de foncer tête baissée dans une aventure qui ne m'aiderait pas.

— Réfléchis, Pauline, réfléchis... Argh, mais qu'est-ce ce que Blasée aurait fait ?

Blasée, la magicienne qui pouvait tout manifester et tout faire apparaître aurait forcément trouvé la solution pour invoquer le maître chanteur de mes parents. D'un tour de passe-passe, elle aurait sorti le délinquant de son chapeau.

Mais moi, Pauline Guyot, devait m'y prendre un peu différemment. Je devais compenser mes faiblesses magiques par de la bonne vieille logique.

— Commençons par le commencement, chuchotai-je alors que je fis les cent pas dans la pièce. Le maître chanteur est forcément rentré dans la propriété, puisque la lettre a été déposée sur la terrasse.

Je m'imaginai alors sur la terrasse, près du canapé aux coussins colorés, là où la lettre avait été nichée. Je visualisai la silhouette d'un être tout noir, d'une obscurité comparable au centre d'un trou noir, en train de déposer le courrier en souriant. Pas de visage, pas de genre, pas d'âge. Ce n'était qu'une représentation visuelle du mot « individu ».

Je plissai des yeux et tentai de déchiffrer l'identité de cette personne, de transformer cette noirceur en peau humaine et en personne reconnaissable, mais n'y parvins pas pour l'instant. Il n'y avait qu'un trou noir à la place de son sourire espiègle.

— Il n'y a pas d'autres options, il a forcément dû rentrer. Bon, parlons d'évidence ; ça ne peut pas être les gardes. Ils dormaient à poings fermés. Et ça ne peut pas être ma famille elle-même, sinon, ça n'aurait aucun sens.

Je sortis de la cuisine et me rendis près de la porte d'entrée.

La poignée de porte, en laiton doré, me mettait au défi de comprendre ce qu'il s'était passé. Si la personne que je recherchais était bien un humain normalement constitué, il devait avoir laissé les empreintes de doigts sur la poignée. Mais comme la police ne serait jamais mise au courant de l'affaire, je ne pouvais pas utiliser cette information.