VI

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J-19

Au final, Maman et Papa avaient décidé de ne pas appeler les secours. Enfin, c'était surtout Maman qui avait pris la décision. Elle semblait de ceux qui gardait la tête froide dans ce genre de situation.

Les gardes avaient été amenés, non sans difficulté, dans son cabinet de médecine générale, et elle avait passé une partie de la soirée à s'occuper de leurs blessures de sorte que ses collègues infirmiers ou chirurgiens n'aient pas besoin de venir. Le sang et la mise en place des points de suture n'étaient pas jolis à voir, mais au bout de plusieurs heures, elle réussit son entreprise.

Les vigiles reposaient maintenant dans son cabinet, à l'abri de toute infection, et à l'abri de toute suspicion.

Je les regardais faire, mais la sensation inconfortable dans mon estomac ne partit pas. Je ne comprenais pas les actions des parents.

Pourquoi accepter ce chantage ? Pourquoi ne pas appeler la police et les secours, et laisser les professionnels s'en occuper ? Il ne fallait pas jouer le jeu du criminel. Il fallait se battre, et montrer qu'on n'était pas seuls. Si on laissait le maître chanteur nous dicter nos faits et gestes, nous étions à sa merci.

Et enfin, la dernière question, dont la réponse pourrait probablement informer le reste de mes interrogations :

Qu'est-ce que cette phrase bizarre voulait dire ?

« La science mènera vers la gloire... »

Le reste de la soirée se passa donc dans cette atmosphère étrange.

Papa nettoyait le sang du gazon en y versant des seaux d'eau pendant que je faisais le guet près du portail ; il ne faudrait pas que les voisins découvrent que notre belle famille cachait de sombres secrets.

Armand, lui, attendait le dîner dans sa chambre. Il n'avait pas besoin de voir à quoi se livraient des parents.

Je posais ma tête contre le rebord du grillage et ne pus m'empêcher de me tapoter le bras de stress.

— Mais qu'est-ce ce qui va pas dans cette famille ?

Je ne pouvais même pas me présenter à Armand avec une solution au problème. Ce n'était pas un tour de magie, ce qu'il venait de se passer. Je n'avais pas forcément une réponse claire qui permettrait d'apprécier le tour avec plus de profondeur.

Non, là, j'avais mis le pied dans un monde fou. Qu'est-ce qui était arrivée aujourd'hui ? Qu'est-ce qui avait cloché ?

Bientôt, le soleil finit sa course vers l'horizon, et la nuit enveloppa la ville. Quelques lampadaires éclairaient la route et les trottoirs du quartier bourgeois. Évidemment, notre maison demeurait illuminée. Presque toutes les pièces baignaient dans la lumière.

Maman ne souhaitait probablement pas laisser une salle dans l'ombre. Pour elle, ça serait donner la possibilité à son maître chanteur d'exister. Des toilettes éteintes signifiaient qu'il se cachait dans les toilettes. Un cagibi éteint signifiait qu'il se dissimulait entre les boîtes de conserve. Pour pouvoir le chasser de ses pensées, elle devait inonder sa demeure de lumière, comme l'on chassait probablement les monstres du dessous du lit quand j'étais petite.

Car c'était sa nature, tant que nous étions incapables de donner une forme humaine à cette voix difforme.

Puis vint le moment du dîner, qui se passa plus tard que tout le monde, bien sûr. Poulet rôti, patates, et haricots verts à partir de restes, ce soir.

Nous n'avions jamais été l'une de ces familles conviviales où chaque instant passé était un prétexte pour rire et passer du temps ensemble, mais nous n'étions pas froids non plus. Un semblant de discussion sur les affaires en cours et les leçons apprises accompagnait souvent le repas.

Rendez-vous avec le malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant