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J-19

Je n'étais pas au meilleur de ma forme. Au lieu de poser des questions et d'être engagée en cours comme le voudrait n'importe lequel de mes professeurs, je m'étais transformée en un mur à qui on ne pouvait rien dire, et à qui on ne pouvait rien tirer.

Mes amis avaient subi le même traitement du silence.

Les jumeaux n'avaient pas compris pourquoi j'étais autant à cran, et pour leur défense, je n'avais rien dit de particulier. J'avais finalement décidé de ne pas les inquiéter. J'avais préféré souffrir en secret, et passer mon temps à imaginer les remontrances que j'allais avoir à la maison.

Pourquoi ne pas leur en avoir parlé ? Tout simplement parce que, même s'ils étaient mes amis, je n'étais pas à l'abri qu'ils me dénoncent. On ne pouvait faire confiance à personne.

Résultats : tout au long de la journée, ces questions me tournaient autour :

« Était-elle réellement envoyée de mes parents ? Avaient-ils réussi à me piéger ? Avaient-ils réussi à me faire cracher le morceau ? Qu'allais-je faire qu'allais-je faire qu'allais-je faire qu'allais-je faire qu'allais-je faire ? »

À la fin de la journée, tout ce que j'avais réussi à faire, c'était de me stresser jusqu'au sang, de noter les mêmes questions me trottant inlassablement dans la tête sur les pages de mon cahier, et de mouiller mon visage avec la sueur de ma terreur. Je quittai mes amis en me disant que c'en était fini de moi.

Lorsque j'arrivais sur place après de longues minutes en train de traîner des pattes, je n'avais rien remarqué d'inhabituel sur le moment. Tout était comme d'habitude. Le portail gigantesque gardait en sécurité les lieux, et un silence de mort tournait autour de la maison.

— Ah, que Dieu me protège. J'espère vraiment que je ne faisais qu'imaginer tout ça.

J'ouvris la barrière d'une main nonchalante et m'enfonçai dans le jardin. Je ne pouvais plus appliquer un sourire faux sur mon visage.

Pourtant, les raisons de sourire étaient nombreuses. Mimosas, roses, camélias... De magnifiques fleurs colorées arpentaient le parterre. Malheureusement, je ne savais jamais combien de temps j'allais pouvoir encore le savourer. Dès que je passais un moment heureux dans cette maison, dès qu'un peu de sérotonine parcourait mon cerveau, je ne pouvais m'empêcher de penser :

Combien de temps avant qu'on m'envoie en cure intensive ? Combien de temps avant que ces moments ne deviennent plus que des souvenirs ?

Mon temps semblait compté. Si un individu avait le pouvoir de voir combien de jours il restait à n'importe qui de vivre, il visualiserait qu'il ne me resterait pas grand-chose.

Je m'avançais alors, les jambes tremblotantes, jusqu'à ce que je remarque que les gardes du corps ne se trouvaient pas à l'entrée.

Cela titilla ma curiosité, car ils ne désertaient jamais leur poste, à moins qu'il y ait urgence. Comme un cambriolage, par exemple.

Ce n'aurait pas été la première fois.

Soudain, ma peine et mon anxiété concernant ma situation devinrent de l'anxiété pour ma famille. Allaient-ils bien ? Qu'était-il arrivé ?

Je m'avançais et délaissais mon attitude nonchalante en trottant, cette fois. Lorsque j'atteignis le niveau de la porte, je vis des jambes dépasser d'une poignée de mimosas en fleurs. Je m'approchai.

Bernard gisait au sol de l'entrée, avec un autre garde. Du sang s'échappait de leurs crânes et tachait le gazon en dessous d'eux.

C'était encore pire que ce que j'imaginais.

Rendez-vous avec le malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant