XXIX

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J-2

L'enterrement de Victor se passa quelques jours plus tard, le temps d'organiser son départ trop précipité.

Tout était allé très vite, et dès la fin de la semaine, nous nous retrouvions pour commémorer le départ du fils Giroux.

C'était étrange d'être un , et de ne pas être entre les quatre murs que l'église louait pour le culte des jeunes. C'était étrange d'être un samedi, et de ne pas être nichée entre Tristan et Victor, à se plaindre, silencieusement, des cours qu'on nous faisait avaler. Nous ne parlions pas beaucoup, mais parfois, en discutant, nous nous rendions compte que nous avions développé le même commentaire de façon synchrone.

Victor faisait partie de ce trio de cerveau accordé. Il était une partie intégrante de notre groupe d'amis. Il n'y aurait probablement pas eu de groupe d'amis sans lui, d'ailleurs. Tristan et moi ayant tendance à nous clasher, il s'était complu dans le rôle de médiateur.

Il passait son temps à panser les plaies entre nous, alors qu'il saignait des siennes...

Le matin de l'enterrement, j'étais devant le cercueil, les yeux déjà rouges de tristesse. Vêtue entièrement de noir.

Peu de personnes s'étaient déviées du code vestimentaire. Partout où je posais mes yeux sur le cimetière truffé de monde, je ne voyais que des têtes sur une masse de tenues ébène.

Oui, il y avait du monde pendant l'enterrement. La famille proche, bien sûr. Mais il y avait également mes parents, et des amis, communs à nos deux familles ou pas. Des professeurs et d'autres personnes que je n'avais jamais vues s'étaient aussi déplacées.

Tristan se trouvait face à moi, de l'autre côté du cercueil. Le visage fermé, et les yeux vissés sur le dernier matelas de son frère jumeau.

Ça devait être dur, de retrouver la personne avec qui on partageait la moitié de son génome dans un lit de mort.

Ce n'était pas le cours d'une vie normale. Nous n'étions pas censés finir ainsi. Nous avions encore tant de souvenirs à partager.

On était censés vieillir ensemble, se moquer de nos premières rides et de nos premiers cheveux blancs ensemble.

Et même avant ça ! On était censés danser au mariage des uns des autres, et s'échanger des bénédictions au baptême des enfants, si on en avait eu. On était censés se partager les photos de nos premiers appartements en solo, et prendre ensemble les photos de cérémonie de fin d'études. Il y avait tant de souvenirs qui nous avaient été volés. Quand quelqu'un de proche disparaissait, surtout quand cette personne était jeune, c'était tout un avenir supposé qui se mourrait avec.

Tristan se cacha le visage pour pleurer. Il devait s'être fait la même réflexion.

— Je l'ai enterré moi-même... disait Tristan, probablement pour lui-même. Je suis un monstre...

Non. Ce n'était pas lui, le monstre. Il y avait de meilleurs responsables à désigner, même si Tristan et moi avions joué un rôle dans le suicide de Victor. Notre premier tort avait été d'être lâches et de ne pas avoir fui tous ensemble. Nous nous pensions assez fort pour subir ce traitement dans son entièreté et nous reconstruire après, bien que la notion du « après » et de quand il viendrait restait flou.

Quand je pense que nous nous étions retrouvés là quand nous aurions pu passer notre vie autrement.

Tout ça à cause de...

Je lançai des regards sur mon père et ma mère, à ma droite et à ma gauche.

C'était eux qui l'avaient tué. J'en étais sûre, maintenant. C'était la pression qu'ils leur mettaient, tous, qui avait fait en sorte qu'il préfère s'ôter la vie que de subir leur harcèlement en plus.

Rendez-vous avec le malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant