XV

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J-16

Papa m'avait demandé si je ne travaillais pas pour l'ennemi.

Lorsqu'il m'avait posé cette question, je m'étais sentie incapable de lui répondre. C'était comme si ma gorge se bloquait.

Qu'est-ce que je pouvais dire, de toute façon ? Il n'avait pas tort. On pouvait dire que j'avais collaboré avec l'ennemi. Tout d'abord, j'entretenais une relation amoureuse avec elle. D'accord, elle n'était pas sincère, mais n'importe qui nous considérant en surface prendrait cet acte comme une trahison.

Mais ça, ce n'était rien. Il y avait plus inquiétant. Dès lors que j'avais ni révélé ni son identité ni ses motivations alors que je connaissais son prénom, son nom, son apparence, et là où elle travaillait, on pouvait dire que je trahissais ma famille.

Car je n'avais qu'à dire un mot pour qu'on appelle les autorités de police compétentes, qu'on débarque à Licornes & Strass un jour de représentation, et qu'on l'attrape en plein spectacle.

Mais ce n'était pas ce que je faisais. J'en étais même loin. Je leur cachais tout, jusqu'au genre de la personne avec qui je prétendais sortir ! S'il le savait, c'est moi qu'il enchaînerait dans le cabinet médical de Maman pour me faire je-ne-sais-quoi et me forcer à parler.

Une goutte de sueur mouilla une de mes mèches arrière, qui se colla sur ma nuque. À ce moment, j'étais reconnaissante d'être face à eux. Sinon, ils auraient reconnu les signes de nervosité plus facilement.

J'ouvris la bouche. Je voulais objecter. Mentir et dire que ce n'était pas vrai. Mentir et dire que ce n'était pas moi. Mais malheureusement, ma gorge avait bloqué cette fonction. Au lieu de laisser les mots trompeurs couler sur la langue, elle avait préféré les bloquer en elle.

Je ne pus donc rien dire. Mais comme je n'abandonnais pas si vite, je me contentais de secouer vigoureusement la tête.

Papa, séparé de moi par une table basse, se pencha pour m'observer. Je pus voir ses pupilles me scanner le visage, alors que ma nuque et mon dos devenaient progressivement les nouvelles chutes du Niagara.

— Pauline, calme-toi, dit-il ensuite en souriant. Je n'étais pas sérieux ! Je te crois. Panique pas comme ça.

Il se redressa, puis gloussa, se moquant probablement de ma réaction « abusée ».

Si c'était son interprétation, je ne le contredirais pas.

Je me mis à respirer de moins en moins rapidement. Ouf. Je l'avais échappé belle. Ma gorge se dénouait peu à peu, comme si elle avait senti que je n'avais plus besoin de mentir. L'espace d'un instant, j'avais perdu mon filtre social, et je sortis tout ce que j'avais sur le cœur.

— Ah bon ? J'ai pas envie de me retrouver attachée dans un endroit froid.

Je me rendis compte de la bêtise que j'avais dite bien trop tard.

Mais qu'est-ce qui me prenait de dire tout ça à voix haute ? La ferme, Pauline, la ferme ! Je me serais donné de bonnes claques si les parents n'étaient pas près de moi.

Heureusement, Papa prit la situation à la rigolade.

— Bon sang, toi alors. Tu as toujours été un bon public pour mes farces. On dirait que le gène de l'humour ne s'est pas transmis.

Je soufflai. Merci Papa !

— Oui, mais s'il te plaît, n'en fais pas dans ce contexte. C'est limite la guerre, là. Il en faut peu pour que je m'imagine dans la position d'un prisonnier.

Papa continua de rire. Ce n'était pas le cas de Maman, cependant, qui, elle, me scannait à sa manière, depuis sa chaise.

— Je ne risque pas de t'attacher pour cause de collaboration avec l'ennemi. Je t'imagine mal le trouver sans aide de nos gardes du corps. Tu es rassurée ?

Rendez-vous avec le malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant