XXIV

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J-8

Je me jetai hors du grenier et courus vers la chambre d'Armand. Celui-ci se relaxait au sol, en train de lire de la heroic fantasy.

Il me vit débarquer comme une furie et écarquilla les yeux.

— Pauline, qu'est-ce qui t'arrive ces derniers temps ? Tu deviens folle !

— Tu ne crois pas si bien dire. J'ai une petite question pour toi. J'ai besoin que tu sois honnête, et complètement honnête, s'il te plaît, sinon j'ai l'impression que je vais devenir encore plus tarée.

Je m'accroupis pour me trouver à un niveau de taille relativement équivalent. Je voulais qu'il me regarde les yeux dans les yeux, et qu'il comprenne à quel point j'étais sérieuse. Ce n'était plus un jeu. Il s'agissait de ma vie. Et il possédait, tout innocent qu'il était, la réponse à la plus grosse problématique que j'avais pu vivre dans mon existence.

Armand me regardait avec surprise et confusion, mais je ne perçus pas de volonté de me tromper, au moins.

Au moins, contrairement à ses parents, il n'était pas devenu malveillant, manipulateur et menteur. J'espérais au plus profond de mon cœur que ça allait continuer dans ce sens.

— Il y a trois ans, j'étais où ?

— T'étais où ? Je ne comprends pas.

Je ravalai mon impatience pour mieux expliquer mon besoin.

— Tu as quelques souvenirs de quand tu étais bébé, n'est-ce pas ?

Il acquiesça.

— Super. La question que je me pose, c'est si, quand tu étais bébé, j'étais là. Où si tu ne me connais que très récemment. Quand tu étais en maternelle, est-ce que j'étais là ? Quand tu venais d'entrer au CP, est-ce que j'étais là ?

Il leva les yeux en l'air et réfléchit pendant quelques secondes.

Ces secondes parurent les plus longues de ma vie. La réponse à ma question allait tout changer. Ça allait me changer, moi, ma façon de penser mon identité, et la relation que j'avais avec mes parents. Ça allait tout remettre en question. Je devais obtenir la réponse, pourtant. Je ne pouvais pas me cacher derrière un oreiller et prétendre qu'avec une bonne nuit de sommeil, ça allait disparaître.

Je devais faire face au monstre au-dessous du lit qui m'effrayait.

Les yeux d'Armand revinrent vers moi, et je me tendis.

La honte, je parlais de courage et de dignité, et je perdais tout mon courage lorsque ce petit garçon me regardait dans les yeux.

— Non. Tu es arrivée à la fin de mon CP. C'était pendant les vacances d'été avant que j'aille en CE1. Maman et Papa sont rentrés dans ma chambre, se sont assis sur le lit avec moi, et m'ont dit « Pauline est ta grande sœur maintenant. »

La nouvelle me fit l'effet d'une douche froide. J'avais mal. J'avais la haine. J'avais été trompée toutes ces années et je n'avais même pas été capable de le voir venir. J'avais joué au jeu de rôle qu'on m'avait confié, et j'avais joué la partie de Pauline Guyot à la perfection.

À aucun moment, je n'avais remis en question le script qu'on m'avait donné. Il était forcément vrai. C'était mes parents, non ? Tout le monde faisait confiance à ses parents.

Bref, je ne savais pas comment avaler la nouvelle. Aucun manuel d'utilisation n'expliquait comment réagir lorsqu'on apprenait avoir été le jouet de sa famille pendant des années.

J'avais raison de me penser pas à ma place dans la maison, au final. J'avais eu raison d'écouter ce pressentiment qui me disait que quelque chose clochait. Mais j'avais tort, aussi. Car je m'étais trompée sur toute la ligne. Je n'étais pas folle. Je n'étais pas inadéquate. Et mes parents n'étaient pas sans reproche.

Rendez-vous avec le malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant