Chapitre 26

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Samaël n'a pas daigné repasser me voir pour me parler de la fameuse soirée où il compte me présentait à la cour démoniaque. Je n'ai pas de nouvelle depuis la veille. Je ne sais pas si je l'ai exaspéré au point qu'il ait ressenti le besoin de faire une pause ou si d'autres projets plus importants l'accaparent, mais c'est la seule personne que je connaisse ici. Je m'ennuie et je n'ai personne à qui parler pour faire passer le temps. C'est encore plus long que quand je suivais la princesse Ombeline comme son ombre. Avec elle au moins on bavardait et rigolait. Parler de ces nouvelles conquêtes me manque. La connaissant, elle serait ravie de savoir que j'ai embrassé Raphe et elle me dirait de draguer Samaël. Cette pensée me fait sourire. Je réfléchis aux goûts de la princesse en matière d'homme, elle choisirait sans conteste Raphe, son statut angélique lui va à merveille. Je repense au sourire en coin de Samaël et ses yeux vairons... Il est sans conteste plus mon style. Mais c'est un démon, ce qui n'est pas du tout mon genre, c'est même le roi des démons. Je me sors cette idée de la tête.

Je sors sur le balcon et regarde le désert de sang. Je trouve cette terre aride apaisante. J'aime observer l'étendue de sable. Je m'accoude à la rambarde en réfléchissant à la suite. L'après-midi vient de débuter et je vais avoir de nombreuses heures à tuer. J'aimerais rencontrer Lilith au plus tôt. Je pense que Samaël s'attend à ce que je la rencontre lors de la soirée. Je repense à Shéoul qui doit se trouver dans mon dos si l'on y réfléchit bien. Sans plus tergiverser, j'attrape ma dague, la coince dans la ceinture de mon pantalon, enfile une cape noire et pars à la recherche de la porte qu'Alrune m'avait ouverte sur la cité démoniaque. J'ai encore toute une cité à visiter.

La porte est plus dure à trouver que je ne m'y attendais, je tourne dans le rez-de-chaussée sans la retrouver. Je souffle ostensiblement face à mon échec. Après avoir tourné en rond, je tombe enfin sur la porte de la salle de bal. En la prenant comme point de départ, j'essaie de retracer le trajet effectué avec Alrune. Je tourne dans un couloir, mais un éclat de voix me stoppe net. On dirait Samaël, je m'approche lentement de la source du bruit. Je repère la porte qui mène à l'endroit où Samaël parle, elle est ouverte et je passe ma tête. Le roi des enfers me tourne le dos. Il est debout face à Bazan. Ce dernier a l'air de se ratatiner sur lui-même.

— Comment tu as pu me cacher de telles informations ? lance Samaël.

— Ça ne me paraissait pas important.

— ÇA NE TE PARAISSAIT PAS IMPORTANT ?

— Je t'ai dit que c'était une néphilim.

— Mais pas que tu l'avais torturé durant des années, pas que c'était un assassin à ta botte.

Je me rends subitement compte qu'ils parlent de moi. Pourquoi le roi des enfers se préoccupe-t-il de ça ?

— Mais pourquoi son sort t'intéresse ? Elle ne représente rien pour toi.

Samaël attrape Bazan par le cou et des ombres les encerclent toutes tournées vers Bazan. Samaël baisse d'un ton et se fait plus menaçant.

— Te rends-tu compte que tu parles de ma fiancée ?

Bazan dont la trachée est écrasée par le démon en face de lui ne produit qu'un son étouffé et écarquille les yeux comme des billes. Je suis étonnée par la colère de Samaël. Il prend son mensonge plus à cœur que je ne le pensais. Il reprend :

— Je devrais te faire payer pour chaque cicatrice que tu lui as faite.

J'ai rêvé de nombreuses fois de pouvoir me venger ou venger Ban des tortures endurées, mais j'ai arrêté il y a bien longtemps d'espérer que quelqu'un d'autre que mon frère ne pense à moi. Inconsciemment, je fais un pas en direction de la scène qui se joue sous mes yeux. Je suis fascinée, je ne veux qu'une chose, c'est que Samaël fasse endurer de multiples douleurs à Bazan. Ce dernier m'aperçoit et son regard s'éclaire en me voyant, comme si j'allais le sauver, mais je n'en ai pas envie. Un petit sourire mauvais pointe sur mon visage. Samaël remarque le changement d'attitude du démon qu'il maintient plaqué contre le mur et tourne la tête dans ma direction. Je me retrouve face à un abîme de noirceur, ses yeux ont totalement perdu leurs teintes. Ça ne dure que quelques secondes, mais j'ai vu cette partie de lui. Son regard redevient bicolore et sa main lâche Bazan, qui aspire de grandes goulées d'air.

— Qu'est-ce que tu fais là ? me demande le roi des démons.

— Je te cherchais... c'est la seule raison qui pourrait expliquer ma présence. Mais reprends où tu en étais.

Mon regard se retrouve à nouveau sur Bazan. Il fronce le nez en m'entendant prononcer ces mots. Il tente quand même de me parler :

— Tu le laisserais me faire ça ? Tu devrais l'en empêcher.

— Pourquoi ?

— Je t'ai élevé.

— Pour ce genre d'éducation... je ne te dois rien.

— Ma Léo...

Il se prend un revers de la main de Sam qui lui dit à voix basse.

— Ne l'appelle pas comme ça. Elle ne t'appartient pas. après une pause, il poursuit. Tu peux disposer, je dois m'entretenir avec ma fiancée.

Bazan ne demande pas son reste et s'enfuit par la porte en passant à côté de moi. Il me lance un regard en coin sans ajouter de commentaire. Je l'observe partir comme le rat qu'il est. J'avance dans la pièce, c'est un bureau spacieux. Samaël s'assoit sur son fauteuil en me demandant :

— Pourquoi es-tu venue ?

— Je ne sais plus...

La vérité étant que je ne le cherchais pas du tout... Il se frotte la nuque et son regard rencontre le mien.

— Tu n'aurais pas dû assister à ça.

— Je vais te laisser.

Je me retourne, mais sa voix m'arrête.

— Me prends-tu pour un monstre ?

— C'était le cas avant de te voir dans cet état.

Je quitte la pièce sans qu'il ne dise autre chose. Je remonte immédiatement dans la chambre qui m'a été attribuée en passant par la sienne. Je repense à ses yeux baignés d'encre. Je n'aurais pas dû le voir dans cet état. Il a menacé Bazan de le torturer, il avait l'air réellement démoniaque. Je cherche en moi une once d'effroi que je devrais ressentir en vain. Je devrais être effrayée par cette brutalité, mais ce n'est pas le cas. Et si je devais être totalement honnête avec moi-même... je l'ai trouvé plus qu'attirant. C'est cette pensée qui me terrifie le plus.




Par la suite, je l'ai évité comme la peste et je pense qu'il en a fait de même. Ça fait plusieurs jours que je ne l'ai pas revu. Je passe mes journées à errer dans les couloirs en évitant celui où se trouve son bureau. J'observe chaque démone que je croise avec attention essayant de savoir si elle est Lilith. Je m'ennuie et ne cherche qu'une chose, trouver la fameuse bague pour partir rapidement et nier les sentiments ambigus qu'il me fait ressentir...

Plus les jours passent, plus les couloirs qui étaient vides à mon arrivée se remplissent. Il y a une effervescence dans ce lieu qui m'oppresse. J'aimerais pouvoir être uniquement avec Ban et lui raconter cette folie. J'avais déjà une vie mouvementée et je ne pensais pas que ça pouvait être pire. Le roi des enfers a ébranlé mes certitudes. 

Fall outOù les histoires vivent. Découvrez maintenant