Chapitre 47

16 1 1
                                    


– Wow. Attends, attends... Cara tentait de calmer le récit de son amie. Tu lui as dit quoi ?

Lise ne put s'empêcher de pouffer devant la mine effarée de la jeune fille.

Quelques jours avaient passé depuis cette fameuse altercation et cette tonitruante révélation et... étrangement, Lise ne s'était jamais sentie aussi bien depuis le début de toute cette histoire ! Oh, bien sûr elle avait toujours le cœur brisé. Il faudrait sûrement un sacré bout de temps avant qu'elle ne puisse totalement cicatriser ses blessures, mais voilà des mois qu'elle ne s'était plus sentie aussi... légère. Elle ne portait plus un aussi lourd fardeau sur ses épaules. Elle avait souvent appréhendé ce moment fatidique, l'avait redouté, en avait même presque eu peur et s'était d'ailleurs décidée à n'en plus jamais reparler après quelques tentatives échouées... Mais c'était lorsqu'elle avait quelque chose à protéger ; une amitié sur laquelle veiller. Or, désormais, que restait-il de leur complicité d'antan ? Raphaël n'était pas prêt jusqu'alors à l'entendre lui faire un tel aveu. Peut-être ne l'était-il toujours pas cependant elle ne l'avait pas fait pour lui. Elle avait pensé à elle et à elle seulement. Cela s'était imposé et elle avait suivi le mouvement... et ne le regrettait pas.

– Mais... T'as pété un plomb, ou quoi ?

Cara la fixait sans ciller, se demandant probablement à quelle page du manuel d'apprentissage des relations amicales elle devait se référer pour gérer cette nouvelle crise. Parce qu'à ses yeux, c'en était une de plus !

Mais de crise, dans l'esprit de Lise, il n'y avait nulle trace. Non, elle n'avait absolument pas pété un plomb. C'était tout simplement une conclusion naturelle à un conflit si violent qu'il les avait tous laissés à terre, blessés et malheureux. C'était triste, il est vrai, mais voilà bien trois jours qu'elle ne cessait de se répéter ces mots en boucle, à l'image d'une Edith Piaf qu'elle comprenait bien mieux désomais : non, elle ne regrettait rien.

– Recommence depuis le début, je crois que j'ai pas tout suivi. Vous vous êtes engueulés...

– Expliqués, préféra la reprendre Lise.

– Quand on se hurle dessus dans une pièce exigüe, ce n'est pas une explication mais une engueulade ! Bref. Elle s'assit en tailleur sur le parquet de la salle de répétition de l'agence, où elles s'étaient données rendez-vous pour vaquer à leurs propres occupations, mais de manière commune. A en juger par le peu d'exercices qu'elles avaient fait depuis presque vingt minutes, Lise commença à douter qu'il s'agissait là d'une bonne idée... Vous vous êtes engueulés et ?

– Et... et...

Et Lise sentit courir sur sa peau le frisson récurrent – mais auquel elle ne s'habituerait probablement jamais ! – qui n'avait de cesse de la tourmenter lorsqu'elle repensait à la suite des évènements. Ce et était tout à la fois ; un beau souvenir et une triste réalité. Il prouvait que Raphaël et elle ne s'entendaient pas vraiment, ne trouvant pas d'autres moyens pour communiquer que l'énergie brute, physique. Les mots ne causaient entre eux que des maux. Quelle accablante ironie...

– Lise, recommence.

Et je te l'ai déjà dit, je lui ai avoué que je l'aimais.

Cara plissa les yeux.

– Tu ne me dis pas tout.

Lise mit un point d'honneur à ne pas sourire, ne pas rougir, ne pas réagir tout court. Elle ne voulait pas se trahir et souhaitait conserver pour elle-même quelques éléments plus intimes de cette ultime entrevue, car les formuler à voix-haute rendrait trop concrète la rupture qu'ils avaient couronnée. Et bien qu'heureuse d'être libérée du poids de ses sentiments non partagés, elle ne pouvait pas se résoudre à faire d'eux un deuil si expéditif. Non, elle ne s'en sentait pas la force. Quelque part, le paradoxe était incroyable : elle refusait d'évoquer ce baiser par peur de s'y accrocher, mais ne souhaitait pas non plus en parler par crainte d'en gâcher le souvenir, d'en altérer la saveur...

Ouvrir les yeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant