Regain Prestige

28 | Une place pour deux

Jax

Depuis deux semaines, je cours une heure tous les matins à l'aube pour calmer mes pulsions et m'extraire Milann de la tête au moins quelques heures.

Depuis notre dernière rencontre, je sens constamment l'ombre de sa présence sur moi à l'image d'un tatouage que je me serais encré sur la peau. Je deviens complètement fou.

Noa, qui réussit toujours à me faire tout oublier, n'a pas été d'une grande aide les fois où je l'ai eue au téléphone. À la seconde où je raccrochais avec elle, Milann revenait ravager mon cerveau.

J'ai regretté d'avoir utilisé ma petite nièce pour me faire oublier ma petite experte, au point de ne plus oser l'appeler. Mes intentions de prendre de ses nouvelles devenaient douteuses et je ne voulais pas prendre de mauvaises habitudes.

D'ailleurs, en parlant de ça, Milann m'a reproché mes mauvaises manies de tout vouloir gérer seul, mais elle aurait dû surveiller les siennes. Il y a des choses qu'il est préférable de ne pas laisser trainer, comme ses yeux pour qu'ils ne fouinent pas dans les messages des autres sans leur consentement.

Je ne sais pas même comment elle a fait pour avoir connaissance du message de Siena. Cette dernière continue toujours de tenter le tout pour le tout et l'ignorer ne fait qu'augmenter sa détermination à recoller les morceaux entre nous. Elle n'abandonnera que lorsqu'elle aura eu ce qu'elle veut, ça n'a pas été faute de me le rappeler.

L'experte a depuis arrêté de m'envoyer des messages comme elle le faisait ces dernières semaines. Il y a un mois, c'est ce que je voulais. Qu'elle m'épargne ses messages et ses questions inutiles, mais aujourd'hui je m'en suis voulu de ne pas avoir fermé ma gueule tout simplement.

Elle s'est contentée de m'envoyer des emails très formels, certainement pour insister sur le côté professionnel. Après avoir réceptionné mon rapport détaillé et surtout erroné des enregistrements de Cassie avec mes conclusions, elle s'est calmée.

Pour elle, le mobile de notre victime est un désir de vengeance, car Spezeli l'a rejeté. Les enregistrements modifiés avec soin par Anilton le lui ont confirmé.

Le nom de Spezeli n'a pas été mentionné une seule fois par Cassie. Pour une raison que j'ignore, elle a conservé son identité et a fait seulement mention d'une relation avec un homme marié de son travail.

Elle le qualifiait comme étant un homme important avec beaucoup de pouvoir, qui aurait pu être n'importe qui travaillant dans le milieu. En revanche, le nom de Molly est apparu à plusieurs reprises.

Ces informations clé ont été camouflées par des mots qui ont transformé chaque phrase en un tout autre sens et comme mon hacker est un vrai prodige, il a reconstitué un passage avec la voix de Cassie évoquant son mal de ne pas avoir été la femme choisie par l'homme en question.

J'ai donc basé mes conclusions là-dessus, même en n'ayant pas le nom de Spezeli. Si le psychologue l'ignorait, nous, nous savions de qui elle pouvait potentiellement parler. En tout cas, j'ai agi dans ce sens.

Anil aurait mérité que son travail soit reconnu par le monde et à défaut de lui offrir ça, je le récompenserais comme il se doit au moment venu.

Après ça, j'ai dû encore m'entretenir avec Adeline Spezeli et proscrire toutes conversations avec l'experte. Son comportement était inacceptable.

Elle devait être du côté de son mari, y compris devant ma collaboratrice. Je lui ai donné les consignes à suivre et j'ai été très clair là-dessus. La femme s'est mise à déverser ses larmes pendant notre conversation téléphonique, avant de mettre ça sur le coup de l'alcool et de la situation.

Là c'était sûr, elle avait besoin de parler.

Une femme comme Adeline Spezeli ne s'apitoie pas sur son sort, elle le renverse. Je lui ai donc vivement conseillé de se tourner vers un psychologue pour parler de l'infidélité de son mari et juste avant de raccrocher, je lui ai balancé le nom de la cible qu'Anil avait pêché pour la tester.

En effet, après avoir analysé toute sa vie, y compris les comptes bancaires de notre cible, on a eu la surprise de tomber sur un nom familier qui n'avait rien à faire ici. Celui d'Adeline Spezeli. J'avais alors une petite théorie et elle a mordu à l'hameçon, peut-être même trop facilement.

C'en est suivi des explications lorsque je l'ai invitée à se confier en toute tranquillité, puisque notre conversation était protégée. Les révélations ont été pour le moins surprenantes et ça restera pour le moment qu'entre nous, comme tout le reste de toute évidence.

Donc pour résumer, amener l'experte vers une autre direction est la chose la plus difficile que j'ai à faire dans ce dossier.

Chaque message notifié par mon téléphone, j'espérais voir son nom s'afficher. J'ai eu la folle idée (fruit de ma médiocrité) de mettre l'ensemble de mes contacts en sourdine juste pour être sûr d'être notifié de ses putain de messages. Je n'ai fait qu'attendre après elle. Après un message ou... une photo utopique.

Celle de son corps dans l'ensemble rouge que je lui ai choisi spécialement pour elle. J'espérais quoi en faisant ça ? Qu'elle vienne me surprendre avec dans mon bureau ? Soyons honnêtes une minute. Oui, ça m'a bien traversé l'esprit, mais c'était irrespectueux de l'espérer.

Pire, c'était la traiter pour ce qu'elle n'était pas. Une experte à mettre dans mon lit « pour qu'elle te la tort » (pour reprendre les termes de Swevan) dans tous les sens.

Toutefois, mes nuits sont un véritable cataclysme qui transforme chaque pensée pour elle en obsession malsaine. Comme si j'en avais pas déjà assez avec Hailey, les deux se bataillent maintenant pour revendiquer leur territoire dans ma tête.

Je sais, elle devait elle aussi attendre après moi et plus précisément après mes excuses. Je me suis comporté comme un salaud avec Milann la dernière fois qu'elle a quitté mon bureau et je continue de me comporter comme un salaud avec elle dans ma tête parce qu'elle ne sort pas de cet endroit.

Alors de quoi je plains au juste ? Si elle veut s'éloigner de moi, c'est entièrement justifié. Je ne sais pas à quoi je m'attends, je suis déjà décrédibilisé. Elle a bien vu (et à plusieurs reprises) l'effet qu'elle a sur moi.

Donc je me tiens éloigné d'elle et lui laisse un peu d'espace même si tout me mène à elle.

Bref, la minute d'honnêteté est passée.