"Reste tranquille, murmura une voix se voulant rassurante. Tout va bien se passer, je te le promets.
- Tiens bon, nous allons t'aider."
Ces voix étaient familières, pourtant la pauvre chatte au poil gris pâle était dans l'incapacité de leur donner un nom. Etait-ce à cause de sa douleur ou de son désespoir ? Rien ne permettait d'en être sûre.
Les murs de la pouponnière, renforcés avec de la mousse pour protéger les reines des températures nocturnes qui avaient commencé à baisser, étaient baignés de lumière tamisée, créant un contraste étrange avec la souffrance qui se déchaînait à l'intérieur. A bout de souffle, la femelle était étendue dans son nid, les pattes tremblantes et les griffes sorties. Faites qu'ils sortent ! implora-t-elle en silence, fermant ses yeux de toutes ses forces. Qu'ils sortent vite !
"S'il vous plaît, laissez-moi vous aider ! répéta une voix féminine venant de l'autre côté de la tanière.
- Aile Brisée, sors tes chatons s'il te plait. Ils seront mieux avec les anciens.
- Entendu, Croc Blanc." soupira la reine sans pouvoir cacher sa déception et son inquiétude.
Sans ouvrir les yeux, la chatte agonisante devina que sa camarade infirme lui lançait un regard encourageant avant de sortir vers le camp du Clan du Tonnerre. Elle serra les crocs. Depuis qu'elle avait rejoint la pouponnière, Aile Brisée l'avait toujours insupporté à se mêler de ce qui ne la regardait pas. Elle n'avait jamais demandé d'aide, pourquoi se sentait-elle aussi responsable ?
La douleur était omniprésente, chaque contraction était un combat, alors que les voix autour d'elle semblaient se fondre dans un tourbillon indistinct. Pourtant, malgré ses vaines tentatives, les chatons prenaient leur temps. Elle se cambra dans son nid, sa respiration haletante rendant chaque souffle difficile. Puis elle serra les crocs de plus belle. Chaque onde de souffrance la faisait trembler, ses griffes s'enfonçant dans la mousse du nid comme pour s'agripper à une dernière lueur d'espoir.
"Tu te débrouilles bien, Patte Givrée. Ils seront bientôt là !" souffla la voix plus jeune d'un apprenti guérisseur qui faisait son possible pour la rassurer.
Cette annonce lui fit l'effet d'un coup de griffe dans le cœur. Comment pourrait-elle bien se débrouiller, étant donné son état ? Même si le Clan du Tonnerre avait depuis peu recommencé à manger à sa faim, les côtes de la future mère étaient encore saillantes de la malnutrition qu'elle avait subi ces dernières lunes.
Avec des mouvements précipités mais précis, Coeur Roux appuya sur le ventre de Patte Givrée de ses pattes avant, la massant pour tenter d'apaiser les douleurs. Mais les forces de la femelle à la patte blanche s'amenuisaient, ses muscles se tendant avec une fatigue écrasante. Pour chaque cri, chaque gémissement qui s'échappait de sa gorge, elle espérait vainement que c'était le dernier.
Pourquoi cela ne se terminait pas ? Cette épreuve semblait sans fin. Patte Givrée ne voulait plus de cette douleur atroce, ni de la vie qui semblait s'étirer devant elle comme une punition éternelle. Bientôt, ce sera fini. Pourquoi était-elle condamnée à vivre ce moment ?
Des souvenirs déformés par la fièvre surgissaient dans son esprit, se mêlant à la souffrance qui déchirait son corps. Elle ne savait plus où elle était, qui elle était. Était-elle encore vivante, ou déjà en train de mourir ?
"Je vois une tête ! Tiens bon, Patte Givrée !" s'écria Cœur Roux, mais ses paroles semblaient provenir d'un autre monde, lointain, presque irréel.
Non, tu ne dois pas la voir ! supplia Patte Givrée dans un désespoir muet. Clan des Étoiles, pourquoi me torturez-vous ainsi ? Cette malédiction ne se terminera donc jamais ? De nouveau, une contraction lui coupa le souffle, lui arrachant un cri qui résonna dans toute la tanière. Tout devrait bientôt se terminer, elle l'espérait.
Dehors, la voix familière de Toile d'Araignée l'encourageait et lui disait que tout serait bientôt fini. Oui, mon frère. Tout sera bientôt fini. Mais pas de la manière dont tu le crois. Les pensées de sa propre fin, d'un soulagement éternel, devenaient de plus en plus pressantes, presque attirantes dans leur promesse d'évasion de la douleur.
Alors que Croc Blanc et Cœur Roux continuaient leurs encouragements, Patte Givrée fut prise de tournis, se remémorant tous les instants de sa vie qu'elle aurait préféré vivre à la place de celui-ci. Mais lequel, précisément ? Autant choisir entre le mal vert et la famine. La reine grise était à bout de nerfs, et ses pensées s'embrouillaient alors que les contractions semblaient se prolonger à l'infini. Tout cela se mêlait en une masse indistincte, comme un tourbillon qui l'entraînait vers le fond. Et cette douleur... Elle était au-delà du physique. C'était une douleur qui transperçait son esprit, qui la plongeait dans une noirceur qu'elle ne pensait pas possible. Devenait-elle folle ?
Hâte d'en finir, elle poussa de toutes ses forces, ignorant les conseils des guérisseurs qui lui intimaient de prendre son temps.
"Doucement, ne les presse pas, lui intima Croc Blanc en posant une patte sur son épaule.
- Je veux que ça s'arrête ! hurla Patte Givrée, sa voix éraillée par les cris, les crocs serrés jusqu'à en saigner.
- Je sais, mais la douleur sera pire si tu vas trop vite. Courage."
Courage ? Elle n'avait jamais eu de courage, et maintenant, tout ce qui lui restait était la peur. Une peur primordiale, une peur de la douleur, de la vie, de la mort. La contraction suivante la prit par surprise, la plongeant dans une nouvelle vague de souffrance si brutale qu'elle crut que son cœur allait éclater. Poussant un nouveau hurlement, Patte Givrée poussa sur ses pattes pour se mettre debout, faisant quelques pas désordonnés dans la tanière en feulant, comme une bête traquée. Contre qui ? Ses chatons ? Les guérisseurs ? Elle-même ? Elle n'aurait su le dire. Tout était flou, tout était douleur.
Elle fut bientôt stoppée par les guérisseurs qui l'encouragèrent doucement à se rallonger, mais Patte Givrée n'avait plus la force de leur résister. Sortez, qu'on en finisse ! Elle ferma les yeux, espérant que lorsqu'elle les rouvrirait, le paysage autour d'elle aurait changé. Mais la douleur, telle une amie fidèle qui refusait de la quitter, était toujours là.
A partir de là, elle était incapable de savoir si les futurs chatons survivraient à cette épreuve. Ou si elle-même y survivrait. Au fond, ça lui était égal. Tout ce qu'elle voulait, c'était que cela cesse. Qu'elle puisse fermer les yeux et dormir, dormir pour une éternité, loin de tout cela.
Au point culminant de son désespoir, une rage démente commença à bouillonner dans les entrailles de Patte Givrée, se mêlant à sa détresse comme un poison lent. Pourquoi son chemin l'avait-il mené jusqu'ici, jusqu'à cet instant précis ? Pourquoi était-elle là, à hurler à la mort, au lieu de profiter de la chaleur de la tanière des guerriers ? Pourquoi le Clan des Étoiles était-il assez cruel pour continuer de la tourmenter après toutes ces lunes de misère ?
La dernière fois qu'elle avait été à la pouponnière, la vie était prometteuse. Les chatons jouaient, les proies abondaient, tout était parfait. Ces souvenirs, autrefois réconfortants, s'étaient maintenant transformés en fantômes qui la hantaient, des fragments d'un bonheur à jamais perdu. Des images lui revinrent alors qu'elle sombrait dans une étrange nostalgie : de l'herbe à chat, une chute d'un arbre, une fourrure rousse brûlante et destructrice, une autre plus sombre, puis le vide. Un gouffre béant dans lequel elle se sentait glisser sans fin.
Chaque image qui défilait devant ses yeux fermés la ramenait à un passé inaccessible, un passé qu'elle ne pourrait plus jamais toucher, et qui la brûlait encore plus que la douleur physique. Le temps semblait se dilater autour d'elle, les souvenirs et la douleur fusionnant dans un tourbillon insupportable qui l'emprisonnait dans cette réalité cauchemardesque.
Tremblante, la femelle à la patte blanche se demanda une dernière fois si le destin avait réellement choisi cet instant précis pour elle. Si tout ce qu'elle avait enduré n'était qu'une lente préparation à cette torture finale. Et tandis que l'obscurité la gagnait peu à peu, Patte Givrée ne pouvait que se demander si la fin qu'elle désirait tant était aussi proche qu'elle l'espérait, ou si elle n'était qu'au début d'un autre enfer.
VOUS LISEZ
Innocence
ParanormalComment continuer à avancer alors que tout semble perdu ? Au Clan du Tonnerre, une jeune chatte grandit dans l'ombre de son propre clan, luttant pour trouver sa place. De nature discrète, elle préfère de loin l'ombre rassurante de sa mère plutôt que...