Chapitre 31

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Patte Givrée ne tenait plus en place. Chaque mouvement de ses pattes lui semblait vide, lourd, chaque tâche inutile. Peu important ce qu'elle essayait de faire, une seule pensée ne cessait de revenir en boucle dans sa tête : Faucon. Son image, ses paroles légères, son rire qui résonnait encore dans ses oreilles. Tout la ramenait à lui, malgré elle. Elle s'était levée tôt, prête à se concentrer sur autre chose, mais rien n'y faisait. Même pendant la patrouille de l'aube, pendant sa partie de chasse avec Poil de Pigeon et Feuille d'Aubépine, elle se surprenait à chercher des traces dans les fourrés, à tendre l'oreille dans l'espoir d'entendre une voix familière.

Je deviens folle, se dit-elle en revenant au camp, peu après midi. Elle tentait de se convaincre que ce n'était rien, que ça passerait. Mais plus elle essayait de l'oublier, plus Faucon revenait hanter son esprit. Sa présence, habituellement si légère, devenait une obsession. Patte Givrée sentait son cœur battre à chaque souvenir. Cela l'agaçait. Contre Faucon, contre elle-même. Contre tout le monde. Pourquoi lui faisait-il ça ? Il n'avait jamais cherché à la séduire, pas comme l'avait fait Moustique en la couvrant d'éloges. C'était elle qui se laissait entraîner dans ces pensées absurdes.

Tu es une cervelle de souris, se répétait-elle en fuyant les regards de ses camarades, grattant nerveusement le sol. Tu t'es déjà brûlée les pattes une fois. Tu ne vas pas retomber dans ce piège. Et pourtant, il y avait cette autre voix, plus douce, plus fragile, qui lui soufflait que Faucon n'était pas Moustique. Qu'il était différent. Qu'elle ne courait aucun danger avec lui. Tu peux lui faire confiance, lui murmurait son coeur, presque suppliant. Mais sa tête, elle, répliquait brusquement : Tu ne sais jamais à quoi t'attendre avec un chat. Mieux vaut ne rien espérer, ne rien risquer. Qui croire ?

Frustrée, la femelle à la patte blanche essaya de se plonger dans les activités de la journée. Elle passa voir Toile d'Araignée, mais son frère était trop occupé à voir ses petits ouvrir les yeux. Patte Givrée se retrouva à échanger des banalités avec Plume de Grive et Aile de Chouette, mais même cela ne la détournait pas de ses pensées.

Finalement, quand Toile d'Araignée revint la voir pour lui proposer de rencontrer ses petits, elle hésita. Cela faisait un moment qu'elle évitait la pouponnière et Aile Brisée, sa présence joyeuse étant trop irritante à supporter. Mais cette fois, elle accepta, peut-être parce que c'était une autre distraction pour repousser Faucon hors de sa tête.

"Tu vas voir, Petit Scarabée est déjà si vif !" lui miaulait Toile d'Araignée tandis qu'il guidait sa sœur vers le buisson où était allongée Aile Brisée.

À l'intérieur, une odeur de lait régnait, qui fit grimacer Patte Givrée. Aile Brisée faisait la toilette d'une petite chatonne pâle, avec quelques zones plus foncées. Où était le nid de Pluie d'Épine ? se surprit à se demander Patte Givrée.

"C'est Petite Chenille, expliqua Toile d'Araignée en pointant de la queue le chaton qu'Aile Brisée léchait. Celle-ci, c'est Petit Trèfle. C'est celle qui a ouvert les yeux en dernier. Et le petit noir là bas, c'est Petit Scarabée. Comment tu les trouves ?

- Ils sont minuscules, réalisa Patte Givrée à voix haute sans le vouloir.

- Difficile de croire que dans six lunes, ils apprendront à se battre. " ronronna Aile Brisée.

Finalement, Patte Givrée lança un sourire à la jeune mère, qui rayonnait d'amour et de fierté. Et malgré tout ce qui lui était arrivé, la guerrière ne pouvait s'empêcher de se dire qu'elle avait une vie étrangement simple.

En sortant de la pouponnière, une sensation d'étouffement envahit Patte Givrée. Mais pour une fois, ce n'était pas à cause de la chaleur écrasante. Elle ne pouvait plus fuir la réalité. Une partie d'elle ne voulait qu'une chose : revoir Faucon, rire avec lui, retrouver cette légèreté qui lui faisait oublier la douleur. Mais elle savait que ça ne durerait pas. Et si, un jour, il la décevait ? S'il la trahissait, comme Moustique, ou la faisait souffrir d'une manière ou d'une autre ? Elle n'était pas prête pour ça. Son cœur, déjà si fragile, ne pourrait encaisser une nouvelle trahison. Elle se le répétait, encore et encore, comme pour s'en convaincre. Je dois l'oublier, réalisa-t-elle avec un immense poids dans le cœur. Il vaut mieux arrêter maintenant, avant que ça ne devienne trop sérieux. Avant que je ne retombe dans une stupide désillusion.

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