Chapitre 30

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Les rencontres avec Faucon avaient d'abord été une gêne pour Patte Givrée, un rappel constant qu'un étranger arpentait leur territoire sans s'en soucier. Pourtant, les jours avaient passé, et ce qui n'était au début que de simples échanges d'insultes mal dissimulées s'était transformé en quelque chose de plus naturel. Ils se croisaient par hasard, de temps à autre, au détour d'une clairière ou près d'un point d'eau, comme si les pattes de Patte Givrée la menaient là où il se trouvait sans qu'elle l'ait consciemment décidé. Chaque rencontre suivait le même schéma : une remarque acerbe, un sourire narquois, puis une joute verbale sans véritable méchanceté. Et avant qu'elle ne le sache, ils se retrouvaient à rire ensemble, un rire sincère qui la surprenait toujours autant.

Avec Faucon, elle n'avait pas à prouver sa valeur, ni à défendre son honneur. Il ne lui demandait jamais rien, pas même de rester. Il ne lui demandait pas de le retrouver chaque jour, à un endroit spécifique, lui reprochant le moindre retard. Personne n'avait trouvé la moindre trace de Moustique, et pourtant, le solitaire aux larges épaules ne semblait pas pressé de partir.

Un jour, Patte Givrée sentit son cœur s'emballer en comprenant ce qu'ils étaient en train de devenir. Moustique aussi avait été adorable au début, et pourtant... Jamais elle n'aurait pu deviner. Elle ne pouvait ignorer la complicité naissante avec Faucon, mais elle devait être claire sur une chose.

"Je préfère que tu le saches, avait-elle dit, ses griffes se plantant légèrement dans le sol. Je ne sais pas ce que tu attends de moi, mais au risque de te décevoir, nous ne serons jamais rien d'autre que... ce que nous sommes actuellement. Si je ne te dénonce pas à mon chef, c'est uniquement car tu ne voles pas de gibier."

Faucon avait hoché la tête, son expression demeurant la même, comme si cette information n'était qu'un fait parmi d'autres, sans la moindre surprise ni déception.

"Tu continues de me comparer à Moustique, hein ? avait-il répondu en faisant frémir ses moustaches, posant la queue sur son épaule, geste qui l'avait surpris. Je ne suis pas comme lui. Tu n'as rien à craindre de moi."

Et leurs rencontres continuaient, toujours par hasard. Chaque fois, Patte Givrée en ressortait le cœur léger. Une pique, une moquerie bien placée, puis des rires qui résonnaient entre les arbres. Même avec Toile d'Araignée, Bois de Chêne ou même Plume de Grive, Patte Givrée n'avait jamais autant ri de toute sa vie que quand elle était avec Faucon. Avec lui, ses soucis semblaient s'éloigner, tout comme les fantômes de Moustique. Elle s'étonnait de trouver du réconfort là où elle n'aurait jamais pensé en chercher.

Cherchant un endroit à l'ombre où se poser, Patte Givrée traversait le camp du Clan du Tonnerre, tandis que les heures chaudes de l'après-midi avaient fait fuir tous les chats présents. Le manque de pluie commençait à irriter les félins, au grand désarroi d'Étoile Charbonneuse. Là haut, sur la Corniche, là où s'était autrefois tenu Étoile Blanche, le chef de clan scrutait ses guerriers, l'air aussi fier qu'inquiet.

Mais c'était ailleurs que l'attention générale se portait. À la pouponnière, Aile Brisée veillait sur trois petites boules de poils fraîchement nées. Petit Scarabée, Petit Trèfle et Petite Chenille étaient nés la veille, et déjà, ils occupaient toutes les discussions.

Patte Givrée tourna la tête un instant, observant la scène de loin. Aile Brisée n'était pas spécialement proche d'elle, et en vérité, elle la trouvait toujours aussi agaçante, avec ses manières optimistes à l'excès. Toujours à sourire, toujours à s'enthousiasmer pour la moindre chose. C'était éreintant. Mais aujourd'hui, ça ne la dérangerait pas spécialement. Aile Brisée peut bien faire ce qu'elle veut, elle ne me doit rien, et moi non plus. Si elle veut être heureuse, grand bien lui fasse.

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