Chapitre 13

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Ce midi-là, Nuage Givré prétendit une nouvelle fois ne pas avoir faim, malgré l'insistance de Nuage de Chêne. Ces derniers jours, celui-ci était étrangement collant avec elle, lui faisant des clins d'œil et des sous-entendus régulièrement. Nuage Givré avait d'abord été gênée de son comportement, mais elle savait aussi qu'il avait tendance à agir ainsi avec toutes les femelles. Malgré tout, elle faisait son possible pour l'ignorer, mal à l'aise à l'idée de se rapprocher du meilleur ami de son frère.

Elle soupira en frémissant. Cette dernière lune avait été chargée en émotion. La mort tragique de Fleur Dorée en mettant bas avait laissé un vide douloureux. Ses chatons n'avaient pas survécu, Fleur Dorée ayant été trop affaibli par la faim et le froid, et Croc Blanc s'était isolé dans la tanière des guerriers, laissant son chagrin l'engloutir. Étoile Blanche, préoccupée par la détresse de son ami, avait fini par lui rendre visite. Ce qui se passa entre eux resta un mystère pour le Clan du Tonnerre, mais peu de temps après, Croc Blanc fit une demande surprenante : il souhaitait devenir guérisseur. Il devint ainsi l'apprenti de Bourgeon de Rose.

"C'est loin d'être une surprise, il a toujours voulu être guérisseur, avait prétendu Épine de Sapin en apprenant la nouvelle. Mais il aimait trop Fleur Dorée pour abandonner sa vie de guerrier."

Nuage Givré avait observé ces changements avec une certaine distance, trop préoccupé par son apprentissage qui devenait de plus en plus rude. Chaque jour, elle revenait avec de nouvelles courbatures, accompagnée souvent de marques de griffures qu'elle devait justifier. D'ailleurs, elle n'avait toujours pas réussi à maîtriser l'enchaînement complexe que Griffe de Chêne lui avait montré, malgré tous ses efforts.

Pendant une courte période, la tanière des apprentis lui avait paru bien calme après le baptême de Patte Charbonneuse. Mais depuis quelques jours, Nuage de Moustache, Nuage d'Aile et Nuage de Noisette les avait rejoint, rendant l'endroit bruyant. Désormais, la pouponnière était vide et inhabituellement silencieuse. Après ce qui est arrivé à Fleur Dorée, les femelles ne seront pas pressées d'avoir des petits, se dit Nuage Givré en soupirant.

Après la perte de sa fille, Branche Vive avait finalement rejoint les anciens pour prendre le repos qu'il méritait, sous le nom de Vieille Branche, à sa demande. Son attitude avait d'ailleurs grandement changé depuis, devenant grincheux, peu aimable et solitaire. Cela était encore plus flagrant depuis que Pétale d'Oseille et Cœur Pâle avait rejoint le Clan des Étoiles, prises d'un mal blanc. Nuage Givré voyait quelque chose de beau dans leur mort ; les deux chattes étaient nées ensemble, ne s'étaient jamais quittées, n'avaient jamais eu de compagnon, et elles étaient parties comme elles avaient vécu : ensemble.

Aujourd'hui, Nuage Givré voulait prendre un peu de repos, après avoir passé une nuit particulièrement dure. Ses cauchemars s'étaient calmés pendant un temps, mais depuis peu, ils étaient revenus avec une intensité effrayante. Elle se voyait trancher la gorge de Pluie d'Épine, sans contrôler son corps, pendant que celle-ci appelait à l'aide et lui demandait pourquoi elle faisait cela.

Près de la souche recouverte de neige près de laquelle les apprentis mangeaient leurs repas, Nuage de Moustache faisait une démonstration aux autres apprentis de sa position du chasseur, qui était parfaite. Son apprentissage débutait seulement, mais elle était déjà une chasseuse redoutable, capable de dénicher des rongeurs malgré la neige. Nuage Givré observait sa démonstration avec une pointe d'envie. Les yeux de Nuage de Moustache brillaient d'une lueur vive et ses mouvements étaient empreints d'une élégance naturelle qui captait les regards. Son pelage tricolore s'était embelli en grandissant, et sa gentillesse authentique la rendait extrêmement appréciée dans le clan.

Nuage Givré détourna les yeux, se sentant soudainement consciente de la jalousie qui pointait en elle. Comparée à la grâce et à la beauté de Nuage de Moustache, elle se sentait ternie et maladroite. Son pelage gris pâle, qu'elle trouvait terne, était seulement interrompu par sa patte avant blanche, qui semblait être une tache indélébile. Elle avait toujours détesté cette patte blanche, la trouvant disgracieuse. C'était comme si, en dépit de tous ses efforts pour se fondre dans le décor, elle était constamment marquée par une trace de neige sale, un défaut indésirable sur un pelage autrement neutre.

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