Chapitre 32

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Patte Givrée ne savait plus combien de temps elle était restée allongée là, au sol, après le départ de Faucon. Le monde s'était éteint. Tout était silencieux, même son propre cœur semblait avoir cessé de battre. Il n'y avait plus de peur, plus de colère, plus de douleur. Juste un vide. Un gouffre immense, sans fin, sans écho. Même son corps avait cessé de trembler.

Elle avait la sensation d'être morte. Pas physiquement, non. Son corps respirait encore, à sa grande déception, mais à l'intérieur, il ne restait plus rien. Son âme avait été arrachée, piétinée, détruite.

Et elle revoyait Faucon, son regard devenu étranger, cette lueur froide qui avait consumé tout ce qu'elle croyait connaître de lui. Il n'avait rien laissé d'elle, rien d'intact. Le souvenir de chaque instant la happait dans un tourbillon de désespoir, mais même ces souvenirs se dissipaient dans un voile de silence. Elle était plus vide qu'elle ne l'avait jamais été. La mort de sa mère lui avait brisé le cœur. Son père lui avait brisé sa confiance en elle. Moustique avait détruit sa confiance en les autres. Mais Faucon... Faucon lui avait détruit son âme. Son innocence.

Finalement, d'une manière ou d'une autre, Patte Givrée parvint à se lever. Ses pattes étaient raides, mais elle força son corps à avancer, un pas après l'autre. Elle devait rentrer. Rien d'autre ne semblait avoir d'importance. Rentrer, se cacher, disparaître. Quoi qu'il arrive, personne ne devait savoir. Personne ne devait la regarder. La questionner. Dehors, le soleil commençait à s'assombrir. Était-il tard ? Quand avait-elle quitté le camp ? Ses camarades avaient-ils remarqué son absence ? Quelle importance ?

En traversant le territoire du Clan du Tonnerre, elle erra comme un fantôme. Elle ne croisa personne, personne ne remarqua son passage. Et tant mieux. Patte Givrée n'aurait pas supporté qu'on la voie. De toute façon, elle était incapable de prononcer un mot. Lorsqu'elle franchit enfin l'entrée du camp, cette barrière de ronce qui lui griffa le dos, le silence qui l'accueillit fut presque réconfortant. Elle n'avait pas envie de parler. Pas envie de se justifier. Elle était simplement... épuisée.

Sans un mot, ses pattes la menèrent vers la tanière des guerriers, ignorant les regards, s'ils étaient posés sur elle. Peut-être qu'ils se demandaient où elle était passée, peut-être que quelqu'un l'interpella. Elle n'en avait aucune idée, mais finalement, peu importait. Elle se glissa dans sa litière, s'enroulant sur elle-même, cherchant à disparaître dans la mousse de son nid. Guerrière en Mousse, entendit-elle résonner. En un bond, elle se redressa, poussant la mousse de son nid loin d'elle, avant de s'allonger à nouveau sur le sol nu et dur. Elle avait froid, mais aucune chaleur ne pouvait plus l'atteindre.



La femelle à la patte blanche resta allongée là, immobile, jour après jour. Chaque matin, la lumière du soleil se glissait entre les branches qui formaient le toit de la tanière, mais elle ne le voyait plus vraiment. Bois de Chêne, Plume de Grive, Toile d'Araignée... Ils passaient, ils parlaient, mais leurs mots glissaient sur elle sans la toucher. Chaque jour, quelqu'un lui demandait si elle se sentait mieux, mais ces voix lui semblaient venir de très loin.

Elle était malade. Du moins, c'est ce que tout le monde croyait. La maladie que provoquait l'eau empoisonnée du torrent l'arrangeait, en fin de compte. Peut-être que Toile d'Araignée s'était inquiété, peut-être pas. Quelle importance ? Au moins, personne ne venait la déranger, à l'exception de Cœur Roux qui venait l'examiner chaque jour. Chaque jour, on lui apportait un maigre repas, mais son appétit semblait l'avoir abandonné, lui aussi.

La femelle à la patte blanche était brisée, cassée. Une proie jetée à terre, immangeable, inutilisable. Piégée dans ce corps qui n'était plus le sien. Elle avait toujours voulu être forte, pouvoir affronter le monde seule, mais aujourd'hui, elle se rendait compte à quel point elle avait été ridicule. Qu'elle était la pire guerrière que ce clan ait connu, qu'elle avait l'intelligence d'une souris sénile et la force mentale d'un oiseau. À quoi bon se relever, à quoi bon prétendre être comme avant, alors que plus personne ne voudrait jamais d'elle ? À quoi bon continuer de faire semblant d'être une guerrière ?

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