Chapitre 26

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Les jours passaient, à la fois différents et identiques. Le camp du Clan du Tonnerre restait toujours pareil, inchangé malgré les lunes qui glissaient comme les eaux d'un ruisseau tranquille. C'était devenu un paysage figé, inaltérable, à l'image de la routine qui s'était installée dans la vie de Patte Givrée, où les moments heureux, ceux où elle se sentait réellement vivante, semblaient si lointains qu'elle doutait qu'ils aient existé. La bataille appartenait désormais au passé. Étoile Charbonneuse, contre toute attente, avait mis en place une stratégie improbable pour chasser les intrus, qui n'étaient jamais revenus. La paix était revenue, et le clan prospérait. Mais pour Patte Givrée, le monde tournait au ralenti, chaque lune un peu plus grise, un peu plus sourde.

De nouveaux guerriers avaient rejoint les rangs, d'autres étaient partis rejoindre la Toison Argentée, et pourtant, ça n'avait plus d'importance. La vie continuait son cours. Tout semblait s'agencer avec une précision tranquille. Rien n'avait changé, et pourtant, tout paraissait si lointain. Des chats défilaient sous les yeux de Patte Givrée tous les jours, alors pourquoi se sentait-elle si seule ? Tout était là, devant elle : un clan prospère, un compagnon qu'elle voyait chaque jour ou presque, des responsabilités. Mais au fond, elle se demandait où était passé ce sentiment de vivre vraiment, pourquoi elle se sentait absente d'un monde qui n'avait plus de goût.

Moustique, de son côté, la hantait toujours. Autrefois, elle appréhendait chaque rencontre, redoutant ses exigences, ses reproches. Mais aujourd'hui, même la peur s'était érodée, comme une pierre usée par l'eau. Elle n'éprouvait plus qu'une lassitude chaque fois qu'il se montrait pour une remarque, un reproche. Elle avait parlé trop fort, ou trop peu. Elle l'avait regardé d'une manière qui ne lui plaisait pas. Ou encore, elle n'avait pas dit les mots qu'il attendait. Et à chaque fois, Moustique trouvait un moyen de tourner la situation à son avantage, devenant la victime, la faisant passer pour la fautive. Elle, la coupable, celle qui n'avait jamais su être assez bien.

"Je fais tout pour toi, et tu ne me rends rien." disait-il souvent.

Cette phrase semblait se répéter en boucle. Mais un jour, sans même y prêter attention, la femelle grise cessa de s'en soucier. C'était peut-être ça, le désespoir. Ce sentiment qu'il ne restait plus rien à perdre. Au fond, pourquoi s'inquiéterait-elle ? Elle savait parfaitement à quoi s'attendre. Elle savait qu'elle reviendrait avec des griffures, des courbatures, mais son cœur était trop faible pour qu'elle ressente quelque chose. Si c'était ainsi que leur relation devait être, alors elle n'y pouvait rien. C'est ainsi que sont les mâles.

Les jours passaient, et se ressemblaient un peu. Patte Givrée se levait, chassait, mangeait parfois. Mais le plus souvent, elle avait la tête dans les étoiles, se demandait si Pluie d'Épine la voyait, si elle se souvenait d'elle. Toile d'Araignée, devenu le compagnon d'Aile Brisée, était devenu un camarade comme un autre. La vie avait avancé pour lui, et elle observait la tendre complicité qu'il avait tissée avec sa compagne. Ce lien fort que, désormais, elle ne reconnaissait plus entre eux. Ils se saluaient le matin, patrouillaient parfois ensemble, et leur relation allait rarement plus loin.

Quelle chance il a d'avoir sa compagne dans son clan, se dit Patte Givrée en voyant son frère rendre visite à sa compagne dans la pouponnière. Depuis que Plume de Corbeau n'était plus là, Patte Givrée ne cessait de se demander si elle aurait pu avoir une vie différente. Avait-il seulement été intéressé par elle ? Elle en doutait, mais voulait l'espérer.

De temps en temps, Patte Givrée s'asseyait seule dans un coin, levait la tête vers le ciel quand il commençait à s'assombrir, se demandant ce que pensait Pluie d'Épine. Était-il seulement possible qu'elle la voit ? Et si elle la voyait, était-elle déçue du comportement de sa fille ? Pourrait-elle lui parler à nouveau, un jour ? Parfois, elle tentait d'imaginer ce qu'elle aurait pu lui dire, ou bien ce qu'elle-même aurait voulu entendre. Ces questions n'avaient jamais de réponse, et pourtant, Patte Givrée continuait de scruter le ciel, comme si elle attendait un message, un signe, quelque chose. Pour les autres, elle était devenue la chatte qui avait la tête coincée dans les étoiles. Mais à présent, ça lui était égal. Qu'ils me trouvent étrange s'ils veulent, ils le sont bien plus que moi à mes yeux, se disait-elle.

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