La procession du Péplos

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Il aura fallu attendre que le cortège soit arrivé en bas de l'Acropole pour que son cœur arrête de saigner de tristesse.

Qu'est-ce qui m'arrive ? Autant de douleur pour... Une fille ?

Sa respiration reprend un rythme normal. C'est un peu comme si pendant deux ans, son cœur avait cessé de battre, qu'il avait cessé de vivre. Hélas, le retour de son hibernation s'est avéré atroce.

Qui est-ce ? Un athénien de pacotille probablement. Je suis meilleur que lui, plus fort, plus intelligent.

La foule, à côté, continue d'acclamer la procession du péplos.

- Vive Athéna !

Sans même qu'il se soit rendu compte, Élien est déjà arrivé aux Propylées. Les marches semblent s'enchaîner avec légèreté. Des prêtres fanatiques poursuivent leurs prières et entraînent le peuple dans la véhémente conjuration.

- Athéna ! Sors-nous de l'obscurité, aide-nous à éclaircir l'ombre planant sur notre chère cité !

Élien murmure une contestation inaudible.

Elle a voulu me buter votre protectrice en herbe.

Une fois le temple d'Artémis passé, les voix s'élèvent. Le cortège s'agglutine devant l'autel d'Athéna, à côté du Parthénon. Un Grand prêtre enjambe les marches et se montre à la vue de tous en levant les bras en l'air. Le silence est maintenant roi.

- Citoyens d'Athènes et citoyennes. Vous, tout comme moi, croyons en notre déesse protectrice, Athéna. Ce jour renouvelle notre dévotion infinie envers elle. Puisse-t-elle nous aider cette année et toutes les années à venir.

Il hoche la tête pour autoriser l'afflux des sacrifices. Élien a une place dégagée mais de toute façon, avec sa grand taille cela n'aurait rien changé. Un bœuf est tiré par une corde à son cou. Il est placé sur l'autel et couché. Des prières sont énoncées puis l'animal est sacrifié. Sa viande sera consommée à l'immense banquet du soir. D'autres animaux sont apportés mais Élien n'y porte que peu d'intérêt. Il passe son temps à admirer une fresque sur le Parthénon, celle des Panathénées.

Il n'y a donc plus qu'une étape, tant mieux, je me fais chier.

Une femme se distingue des autres en s'approchant de la grande statue d'Athéna en marbre. Élien lâche un juron : c'est Cléo. Elle tient dans ses mains un péplos teint au curcuma et l'enfile à la statue. Les spectateurs, complètement en liesses, s'adonnent à une profusion de cris fanatiques. Cléo lève une main en l'air pour saluer la foule et scrute lentement tout le monde. Elle est magnifique. Ses cheveux blonds, relâchés, retombent au niveau de ses fossettes sacro-illiaques. Son péplos ample ne lui permet pas de mettre son corps en valeur mais cela ne change rien à sa beauté naturelle. Elle sourit abondamment, ce qui illumine l'Acropole. Élien est absorbé et n'arrive pas à défaire ses yeux d'elle.


Cléo commence à s'impatienter mais le Grand prêtre lui a demandé de raviver la flamme des athéniens.

Ce foutu péplos me gratte les fesses, je vais finir par me dénuder devant toute la foule. Non, mauvaise idée. Ils vont me sacrifier après. Et me manger. Un rire intérieur ressort un peu fort mais le bruit environnant est tel que personne ne le remarque. Elle scanne pour la dixième fois la foule tout en affichant un faux sourire. Elle s'est entraînée environ 2 semaines devant un miroir pour pouvoir l'afficher en public. Soudain, elle remarque un homme totalement désintéressée de tout ce show. Enfin quoi que non, il regarde Cléo intensément. Ses yeux, ces cicatrices, ces cheveux, ce nez, ces.. Muscles.

Non, ce n'est pas possible.

Un prêtre qui remarque sa déconcentration lui demande de continuer à galvaniser la foule. Cléo lui fait bien comprendre avec un geste adroit de lui mettre son doigt dans son cul. Elle descend de l'estrade et rejoint Kalliopi.

- Tu as été superbe, ma belle.

Cléo câline son amie et se tourne vers Léandros.

- J'aurai pas fait mieux, ajoute-t-il. Tu as été incr...

La jeune femme s'est déjà détachée de la conversation et cherche Élien du regard. Après quelques secondes, elle le voit. Mais celui-ci s'éloigne. Cléo tente de le rattraper mais il y a trop de monde. Une vraie marée humaine les séparent.

La soirée est plutôt calme. Cléo s'affale sur sa chaise. Elle appuie ses pieds sur le bureau pour allonger son corps de toute sa longueur mais des feuilles de papyrus tombent par terre. Elle tend sa main pour les ramasser et jette un coup d'œil. Ce sont des relevés de commerce au niveau du port, des conversations réceptionnées, etc. Son enquête pour déterminer qui sont les traîtres n'a jamais aboutie. Toutes ces recherches traînent là depuis plusieurs mois.

Le temps m'a manqué.

Cependant, l'apparition d'Élien lui a ravivé sa flamme éteinte. Cette flamme qui la pousse a être une guerrière, une politicienne, une femme active en d'autres mots. Soudain, sa vie la dégoûte.

Depuis la reconstruction d'Athènes, je ne fais que profiter des plaisirs de la vie. Où est passée ma passion d'aider les gens, de me battre pour mes valeurs ? Je suis devenue faible.

Cléo ouvre une armoire en bois et attrape un chiton. C'est un des plus sexy qu'elle possède. Son décolleté laisse entrevoir ses seins charnus, sa coupe ajustée fait ressortir ses hanches et ses fesses. Une fente remonte des pieds jusqu'à la hanche. La couleur blanche de la tenue est mise en avant par les bords qui sont rouges avec quelques motifs floraux. Un collier en or pend dans sa poitrine et plusieurs bracelets et bagues en or garnissent ses membres. L'Amazone salue sa mère dans le salon avant de sortir. En effet, par miracle, elle a réussi à s'enfuir de Sparte.

Dehors, il fait bon. La chaleur insoutenable de la journée a laissé place à la fraîcheur de la nuit. Les murs clairs des maisons sont construits afin de réflecter la chaleur et permettent le soir, de profiter d'une ville épurée de toute température dépassant les 25⁰C. Cléo ne sait pas vraiment, ce qu'elle fait à l'extérieur à cette heure-ci. Enfin si, elle espère croiser Élien. La probabilité est minime mais l'espoir est avide de ce genre de moment. Plusieurs hommes éméchés lui font des commentaires déplacés qui n'atteignent pas la femme. Elle est au-dessus de ça. Au-dessus de ces animaux. Les tavernes les plus branchés sont remplies dont "Le Minotaure assoiffé". Elle décide d'y entrer. L'ambiance est chaleureuse et plutôt pour la haute société athénienne. Par contre, l'auberge attachée est assez médiocre.

- Cléo ! Lance Kalliopi.

- Salut, Kalli.

L'athénienne dévisage son amie.

- Qu'est-ce qu'il y a ? Tu as trop bu.

- Non du tout ! Cléo, j'ai trouvé un mec super sympa. C'est un marchant de Crête. Il vient pas souvent ici donc je vais l'aider à découvrir la ville.

- Ah bon ? Trop bien, sourit-elle.

L'espoir de Cléo de retrouver Élien s'éteint petit à petit.

- Et il est où ? Ajoute-t-elle.

- Au bar en ce moment.

Elle désigne le type qui est assis, de dos, sur un tabouret.

- Wow, il a un corps d'Apollon ton marchant.

- Oui, je vais lui montrer le savoir-faire des athéniennes, rigola-t-elle avec Cléo. Tu veux à boire ? Je vais commander à boire tu veux quoi ?

- Retzina.

Elle acquiesce et se lève de sa chaise pour se diriger vers le barre. Cléo sent son cœur se resserrer, la tristesse comme une maladie, se propage dans tout son corps. Elle ne s'attendait à rien, pourtant elle est quand même déçue.

Je suis si piquée que ça ? Ça fait deux ans que je ne l'ai pas vu depuis... Depuis que j'ai fui.

Cléo pose sa tête sur ses mains. Des larmes apparaissent aux creux de ses yeux.

- He, ma belle, ça va ? Il y a quelqu'un que je veux te présenter.

La jeune athénienne relève la tête. Ses larmes bloquent partiellement sa vision. Elle n'aperçoit qu'un tas de muscles qui le regarde depuis sa haute taille. Elle s'essuie d'un revers de la main et cligne des yeux.

- Excuse, moi. Je suis un peu bouleversée en ce moment.

- Êtes-vous bouleversée de me voir, princesse ? Lance un sourire malicieux.

Kairos, Le Moment OpportunOù les histoires vivent. Découvrez maintenant