Polémarques

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Le polémarque reste sceptique.

- Tu es en train de me dire qu'une harpie vous a attaqués ?

- Trois, monsieur.

- Des femmes avec un corps de vautour ? Rigole-t-il à moitié.

Élien s'écarte pour laisser passer Anaximène qui est en train de traîner la bête par terre. Celle-ci est remplie de poussières et de terres.

Les yeux de Théo sortent de ses orbites.

- Par tous les dieux !

- Je vous le dis mon polémarque, il y a un vrai danger.

- Très bien, je vais convoquer le conseil de guerre mais vous allez devoir venir avec moi. Et elle aussi, pointe-t-il du doigt la créature.

Les six polémarques sont rassemblés autour d'une rustique table en bois. La chaleur dans la tente est étouffante. Le roi Agis II est assis dans le fond pour superviser la réunion. Sa prestance apporte une atmosphère encore plus pesante. Les fronts dégoulinent de sueur et les tissus pour éponger sont désormais des loques. Des hilotes versent de l'eau mélangée au vin dans les verres en céramique et gigotent de larges éventails pour rafraîchir leurs maîtres.

- Pourquoi nous as-tu convoqué camarade ?

- Vous allez voir. C'est pour le dire... Intéressant.

Un garde ouvre la toile servant de porte en tendant son bras. Élien et Anaximène rentrent en trombe en portant leur lourde preuve. Un polémarque, surpris, se relève de son siège.

- Qu'est-ce que cela veut dire ? S'exclame-t-il.

Les deux amis lâchent la harpie qui s'écrase avec un bruit sourd. Un long silence s'ensuit.

- Ceci, messieurs, est une harpie, continue Théo.

Des protestations fusent. Les polémarques demandent des explications.

- Je les laisse expliquer la situation.

Élien, ayant l'esprit de leader, prend les devants et explique leur échauffourée. Ils écoutent tous en silence, pas un mot ne sort de leur bouches. Mais particulièrement un dans la tente ne sourcille même pas : le roi Agis II. Prosterné sur sa chaise, il attrape quelques raisins qu'il mâche rapidement.

Notre roi bien aimé semble au courant de quelque chose.

Élien continue son histoire avec le sphinx.

- Je n'ai, hélas, aucune preuve pour appuyer mes propos. Mais croyez-moi ! Si ces deux créatures existent, alors lesquelles n'existent pas ?

La question est rhétorique, ce qui, ne génère pas de réponse de la part du conseil.

- Merci à vous, nous allons en discuter. Vous pouvez sortir.

Anaximène part directement voir les nouvelles du médecin et lorsqu'il revient, il apporte de l'espoir.

- Son œil est perdu mais il devrait s'en tirer. Ils l'ont opéré pour nettoyer sa cornée et lui fourniront un cache-oeil en cuir.

- Bien, répondit Élien de façon confiante.

Le lendemain, l'armée lève le camp et s'arrête à quelques heures d'Athènes. Ils prennent quartier à Eleusis, une petite cité athénienne protégée par un fortin, capturée par la force. Grâce à ça, ils ont un accès aisé à l'eau potable, les montagnes dans leur flanc gauche et la mer dans leur flanc droit. En effet, la flotta spartiate mouille à côté afin de protéger les hoplites.

Élien s'entraîne à la lutte avec Anaximène pour patienter. Il le vainc facilement. Soudainement, il repère, de l'autre côté du terrain d'entraînement, le grand gaillard qui lui avait mis une raclée lors de ses débuts.

Oh alors toi, je ne vais pas te louper. Songea-t-il avec toute la haine qu'il avait en lui.

- Eh toi !

Il se retourne d'un air un peu noeud-nœud.

- Tu te souviens de moi ?

Il acquiesce de la tête.

- Pourquoi ? Tu as envie que je te pisse dessus une deuxième fois ? Rigole-t-il avec ses amis.

Élien qui sent sa rage monter en lui peine à se contrôler.

- Tu t'appelles comment ?

- Phillipe.

- Sache, Philippe que tes prochaines paroles seront les dernières que tu prononceras de ta vie.

Je vais le tuer.

- Je te provoque en duel, Élien. Que les dieux décident de ton sort.

Ils s'équipent pendant que la foule s'agrège autour d'eux. Ils acclament les duellistes comme jamais. Les guerriers spartiates ont envie de sang. Pour eux, c'est une sorte d'apéritif.

Une servante passe et apporte un sceau d'eau muni d'une loque pour essuyer les prochaines blessures. Elle touche délicatement l'épaule congestionnée d'Élien. Le jeune grec perd ses moyens pendant un instant. Et lance un regard interrogateur à la jeune fille.

Ce visage.

Il prends quelques secondes et...

Mais si c'est toi ! Cléo !

A peine eût-il le temps de réaliser qu'elle avait déjà disparu dans la foule.

- Eh Élien ! Reprends tes esprits mon vieux, crie Anaximène.

Il lui projette l'eau du sceau à la figure, ce qui est très efficace.

- Concentre toi sur moi ! Tu me le fumes ce bâtard. Tu m'as compris ?

- Oui c'est bon, je me charge de ce fumier.

Son ami lui tend sa lance et son bouclier.

Un arbitre rudimentaire est désigné. C'est plutôt un prêtre qui veille à respecter les traditions religieuses des duels. Les deux combattants se font face.

- Prêts ? Demande-t-il.

Les deux acquiescent.

- C'est parti !

Élien, empli de haine, lui fonce dessus. Ce n'est pas que contre lui, en réalité, il n'en a rien à faire de ce moins que rien. Il a besoin de dilapider une partie du poids qui pesait sur sa conscience sur cet énergumène. Il est tellement rapide que son adversaire n'a que le temps de lever son bouclier. Philippe pare le coup puis tente de jeter un coup d'œil mais directement, un autre coup de lance vient le menacer. Il tente de reculer mais les spectateurs le repoussent dans l'arène rudimentaire. Élien déploie toute sa palette technique et physique qu'il a appris lors des précédents mois. Plusieurs fois, son adversaire ne peut que partiellement se protéger. En effet, la lance transperce son derme en superficie une fois, deux fois puis une troisième fois. Le malheureux pousse des cris de douleur. Dans un ultime espoir, il tente de rendre des coups pour tenter d'atteindre Élien mais celui-ci esquive agilement les attaques. Rien ne peut le toucher et si c'était le cas, son bouclier le protège. Lorsque le guerrier se fatigue, le jeune grec fait un pas sur le côté pour éviter un coup de lance et saute pour venir planter son arme dans le cou de son opposant. Le sang gicle abondamment dans toutes les directions tandis que la foule est en délire. Philippe s'effondre et pousse un râle lugubre. Élien sort son épée et exécute le blessé comme les hommes le réclament.

- Élien ! Élien ! Élien ! Scande la foule.

Cet instant, il le déguste. Il écarte ses bras sur les côtés en provocation et se tourne vers les spectateurs complètement hystériques. Il se sent tellement puissant qu'il croit être un dieu à ce moment-là.

Anaximène vient lui faire une accolade pour le féliciter.

- Qu'il pourrisse dans le Tartare, dit-il.

Nikos, qui a assisté à la scène, affiche un visage fier. Aujourd'hui, il a prouvé aux yeux de tous qu'il est un valeureux combattant et se forge une première réputation dans les rangs spartiates.

Ils apprendront à craindre mon nom.

Kairos, Le Moment OpportunOù les histoires vivent. Découvrez maintenant