Athènes

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Élien ressent des picotements étranges lorsqu'il franchit une des portes de la cité. Lorsqu'il relève le menton, le soleil est déjà dans sa descente. Un des éphores lui a conseillé une auberge près du centre "le Minotaure assoiffé".  Assez facile à repérer au vu de l'énorme pancarte de la bête en train de tenir une amphore. Un grand homme robuste et moustachu tient l'accueil.

- Une chambre pour deux nuits et une place dans votre étable, s'il-vous-plait.

- Voici la clé, un verre de retzina vous est offert, la spécialité de la maison.

Élien acquiesce et s'éloigne. Il emprunte les escaliers et tombe sur sa chambre au premier étage. Plutôt lugubre et spartiate, de quoi lui aller à ravir. Un rat passe sous ses pieds, un coup de pied bien placé le repousse à l'extérieur de la chambre.

- Saleté, murmure-t-il.

Bon, il fait encore jour. C'est le moment de visiter ce que j'ai raté la première fois.

Il enfile son verre offert à la taverne de l'auberge.

Pas mal, je sens la résine.

Les rues athéniennes, avec tout le monde qui va avec, semblent tellement...

Vivantes.

C'est assez surprenant mais Élien se sent bien. Très bien même. Les festivités continuent encore de part et d'autre d'Athènes ; des concours de chants et de poésies se déroulent à chaque coin de rues. Élien arbore un chiton avec une seule attache. Celui-ci est blanc mais avec des bords épais rouges. Cela offre à son torse musclé un peu d'air mais aussi des regards indiscrets d'athéniennes de tout âge, de quoi booster son ego.

Soudain, le spartiate se retrouve dans un quartier de commerçants. Tout est opulent. Les tenues sont colorés et les bâtiments ornés de mythes et dieux.

- Excusez-moi ? Cet endroit s'appelle comment ? Demande-t-il à un passant.

- Le Céramique !

Suis-je bête ? Il y a des potiers partout, des stèles de Thémistocle, Thésée, Athéna. Athéna.

Élien découvre son épaule droite, cachée, et regarde furtivement la marque.

Foutue chouette. J'ai raté les jeux olympiques à cause de toi.

La douleur a grandement disparu mais certaines positions lui lancent toujours. Le spartiate réfléchit un instant puis regarde au loin une colline bien connue.

- J'arrive.

Les premières marches sont rapidement passées. Élien contemple les Propylées qui paraissent comme un château protégeant le ciel mais il ne s'arrête pas. Après être passé devant le temple d'Artémis, il continue vers l'Érechtéion. Le temple est tout neuf car il remplace un autre qui a été détruit par les Perses.

- Les cariatides t'observent, étranger, lance un prêtre un peu bizarre.

Élien n'y prête pas attention et poursuit sa route vers son objectif principal : le Parthénon.

Le soleil est quasiment couché quand il ressort du temple. L'énomotarque décide simplement de rentrer à l'auberge. Une  fois le ventre rempli et le dos couché sur sa paillasse, il ressasse ses pensées.

Putain, comment ça se fait que ce temple soit vide ? Je n'ai rien ressenti. Pas une once de sensation. Athéna, me fuis-tu ? Nous avons des comptes à régler toi et moi, lâche.

Sa haine se propage dans tout son corps, forçant Élien à faire des pompes pour se dépenser. Soudain, il se fige.

Où est-tu ? Où est la marque ?

Il repasse ses doigts sur son épaule mais non, il n'y a plus rien.

Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?

Élien se couche mais ne dors pas bien. Il passe une nuit agitée. Plusieurs fois, il revoit son combat contre les sphinx à Athènes. Plusieurs détails sont incohérents dans son rêve. Ils sont même aberrants. Par exemple, il se voit rentrer dans ce temple, avec ses hommes derrière. Les sphinx lui foncent dessus sans crier gare et sans que personne ne l'ordonne.

Ce n'est pas tout, une voix, comme toutes les nuits, vient le déranger durant son repos.

- N'oublie pas ce que nous avons convenu, mortel.

Ce n'est pas vrai, encore toi.

Élien se réveille. Les premières lueurs du soleil pénètre par un trou dans le mur. Le visage esquinté d'Élien témoigne de son état. Il essaie de le cacher mais Arès le ronge petit à petit. Ses nuits se raccourcissent tout autant qu'elles s'appauvrissent en rêves agréables. Le spartiate sent que cela lui pèse et qu'il doit en finir bientôt avec Athéna, s'il ne veut pas tomber dans une obscure haine inconditionnelle et sans répis. En effet, son cœur et ses paroles se durcissent, sa voix s'aggrave et son bonheur s'amenuise. Il enfile un péplos teint au curcuma et se rend là où il est attendu : le Dipylon.

Sur place, il tombe sur les autres émissaires spartiates et les saluent brièvement. La foule s'agrège petit à petit le long de la voie sacrée et observe le rassemblement de personnes qui participent à la procession du péplos. Élien estime qu'ils sont 200 à effectuer le trajet. Une heure plus tard, un grand prêtre tout devant crie quelque chose et la procession commence alors. Ils partent donc du Dipylon, la porte principale d'Athènes, et suive la voie sacrée qui mène au Parthénon. Élien qui ne se sent pas particulièrement concernés ne fait que suivre le cortège.

Par tous les dieux, ils marchent plus lentement que des limaces pleines de baves. Dans 5 heures, je suis encore ici.

Le spartiate passe donc son temps à admirer les monuments et bâtiments qu'ils traversent. Il n'hésite pas non plus à regarder les membres de la procession.

Je suis quoi, vers le milieu-arrière, je dirai.

Après une autre heure passée, l'ennui commence à le gagner et il décide de remonter le cortège. Discrètement, il se faufile parmi les personnes tout en s'excusant de la gêne occasionnée. Un moment, il s'arrête et regarde une nouvelle fois autour de lui. Soudain, il reste bloqué sur une personne.

Serait-ce ?

Élien, bien que la peur au ventre, continue sa progression. Il se rapproche et se retrouve à cinq mètres d'elle. Il voit un bras autour de sa taille.

Non, ce n'est pas elle.

Néanmoins, son visage se tourne et son profil se dévoile. Une épée semble transpercer le ventre d'Élien. Son cœur, si froid, semble désormais brûler. Il brûle de douleur, de jalousie, d'amertume. Jamais il n'a senti telle émotion. Élien s'arrête et se laisse se faire dévorer par la foule. Lorsqu'il est revenu à sa place initiale, il reprend sa marche, sans un mot, l'espoir étouffé par un bras.

Kairos, Le Moment OpportunOù les histoires vivent. Découvrez maintenant