Page perdue n°1 - Le noir n'est rien

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La grande feuille blanche aveuglait Mara. Elle ne savait pas par quoi commencer. Six ans à peine et on lui donnait déjà tant de responsabilités. Tant de couleurs à disposition, tant de choix dans les pinceaux. La fillette ne savait plus où donner de la tête. Dans son cœur, elle sentait des vagues à la teinte mauve.

Debout à quelques pas d'elle, devant sa propre toile, Okemia leva la tête, comme sensible à son changement d'humeur.

— Mara, appela-t-elle doucement. Que t'arrive-t-il ?

Mara tourna la tête vers sa mère, ses grands yeux gris noyés dans la confusion. Okemia s'assit en tailleur à côté d'elle. Elle portait un t-shirt blanc trop grand, taché de couleurs floues et un short de pyjama rose recouvert de donuts. Comme sa fille, elle était pieds nus.

Mara trouvait sa Maman très belle. Elle avait des cheveux courts et noirs, qui tombaient un peu en dessous de sa mâchoire. Plus épais que ceux de sa fille, coiffés en décoiffés, elle avait sans cesse l'air de sortir d'une bourrasque... ou du lit, selon les jours. Elle était grande sa Maman aussi, plus grande que beaucoup d'autres Mamans, et encore plus que Papa.

— Je ne sais pas quoi dessiner, baragouina Mara. Et comment faire.

Les lèvres d'Empathy sourirent en même temps que ses yeux, d'un gris lunaire. Plus acérés, plus petits que ceux de Mara, ils pouvaient trancher les âmes comme les caresser. Mara préférait ces derniers, qu'elle montrait à tous ceux qu'elle aimait bien.

— Tu n'as pas besoin de savoir comment faire. Tu n'as même pas besoin de pinceaux. Regarde.

D'un geste, Okemia écarta les instruments, et d'un autre, ramena les coupelles pleines de peinture de toutes les couleurs. Mara les observa, constata la présence du noir et l'absence du blanc. Normal, parce que la feuille était blanche, mais quand même. Le blanc, c'était mieux que le noir. La fillette tomba finalement sur le violet, qui correspondait à peu de choses près à ce qu'elle sentait dans sa poitrine. Elle tendit le bras, mais interrogea sa mère du regard avant.

— Je peux y aller avec les doigts ?
— Oui, bien sûr. Avec les mains, les pieds, même les cheveux si tu veux.

Mara écarquilla les yeux.

— Même les cheveux ?
— Même les cheveux. Ça se lave.
— Papa dit que je peux peindre que avec les pinceaux, bougonna la petite.

Elle ne voulait quand même pas se faire disputer par Papa et ne plus avoir droit aux brownies pendant le goûter. Ou aux super pancakes du petit déjeuner. Et à tellement d'autres sucreries qu'il savait cuisiner.

— Oui, mais là, on est dans le bureau, lui rappela Empathy. Et dans le bureau...
— C'est Maman la cheffe, compléta joyeusement Mara.
— Heureusement qu'il me reste la cuisine, parce que ta Maman a tendance à s'approprier de plus en plus de pièces.
— Papa !

Mara, des étoiles dans les yeux, tendit les mains vers son père et le plateau de brownies qu'il portait.

— Et je vois que j'arrive juste à temps, s'amusa-t-il en déposant le goûter sur les tables basses.

Deux grands verres de jus de fruits accompagnaient le gâteau.

— Si tu veux manger, Mara, fais-le maintenant, avant de mettre des couleurs partout, lui dit Okemia. Parce que...
— Les couleurs, ça se mange pas, je sais ! s'élança la fillette vers la table.
— Je vais finir par croire que tu veux conditionner notre fille, rit Ichiro.

Empathy s'était levée et rapprochée, tout en surveillant Mara du coin de l'œil.

— Je veux juste l'empêcher de s'empoisonner, tu sais qu'elle aime s'en mettre partout, soupira-t-elle. Si ça lui évite des intoxications dans le futur, ce n'est pas plus mal.
— Je te taquine.
— Je sais bien.

Des Couleurs plein le Coeur |MHA|Où les histoires vivent. Découvrez maintenant