« Pense au lac, mon arc-en-ciel. Pense à la forêt verte tout autour, au grand soleil jaune, au Mt Fuji blanc. Pense au lac des vacances, Mara, et tout ira mieux. »
Les trois phrases tournaient en boucle sous son crâne tandis que Mara essayait tant bien que mal d'invoquer l'image rassurante et ses trois couleurs dominantes.
Joie jaune, calme vert et douceur blanche.
Pétrifiée, elle n'osait pas cligner des yeux de peur de perdre la moindre miette d'information qui défilait sur l'écran de télévision, son seul contact avec le monde extérieur. L'ami de Maman, celui en noir, rouge et or, les avait emmenés avec Papa et plein d'autres gens et d'enfants dans un endroit « en sécurité ». En sécurité, peut-être, mais ça puait, il y avait trop de gens, trop serrés, et Mara n'aimait pas quand il y avait trop de gens trop serrés, parce que ça s'appelle une foule, et Maman disait toujours qu'il n'y avait pas plus dangereux qu'une foule.
— Pourquoi on ne voit pas Maman ? demanda Mara qui la cherchait toujours sur la télé.
— Elle se bat contre les Vilains, la télé ne peut pas s'approcher, c'est trop risqué, répondit Papa en resserrant ses bras autour d'elle.Vilains, produits chimiques, nuage dangereux, explosions, incendies. Les mots fusaient dans tous les sens sur le petit écran, trop vite, trop compliqués pour qu'elle ait le temps de tout comprendre. Elle savait juste que c'était dangereux, assez pour qu'on aille l'enfermer avec son Papa et tous ses voisins dans le même sous-sol sombre, et que sa Maman se battait, là, dehors.
Mais sa Maman ne risquait rien. C'était une Héroïne très forte et très célèbre, et elle non plus, elle n'était pas toute seule. Il y avait d'autres Héros avec sa Maman, comme Sérénité. Sérénité était en noir et bleu, et il suivait sa Maman partout, parce que son travail de Héros à lui, c'était de l'aider et de la protéger.
« Pense au lac, mon arc-en-ciel. Forêt verte, soleil jaune, montagne blanche. »
Mara n'osait pas penser au lac, même si elle en avait très envie. La dame de la télé venait d'annoncer la victoire des Héros, encore, enfin. Mara observait les visages, comptaient les Héros blessés, ceux qui marchaient encore sans aide, les Vilains menottés, les civils couverts de cendres.
Mais pas sa Maman, pas encore.
— Quand est-ce qu'elle arrive Maman ? chuchota Mara.
— Bientôt, souffla Papa sans décrocher ses pupilles de la télé, sans cesser de lui caresser le dos.Une silhouette surgit de la fumée et Mara se redressa, ses grands yeux gris écarquillés. Elle reconnaissait les mèches bleues dans ses cheveux, le costume noir et bleu, Sérénité. Sérénité blessé, le regard dans le vague, les joues maculées de suie et de poussière. Sérénité, le Héros qui protégeait sa Maman, qui ne travaillait jamais sans Maman.
Alors pourquoi cette fois n'était-il pas avec elle ?
« Pense au lac, mon arc-en-ciel. Jette toutes tes émotions dedans. Le lac est très profond, il peut toutes les absorber, même si elles sont très grosses. Et n'oublie pas de prendre une bouffée de soleil jaune et de forêt verte avant de revenir. »
Mara ne pensait pas au lac. Elle sentait ses émotions enfler, nourrir son Alter, qui grossissait, grossissait dans sa poitrine, jusqu'à lui comprimer la gorge. Un Alter qui s'emplissait de son inquiétude violette et sa peur prune.
Elle n'avait pas encore besoin de penser au lac et d'y jeter sa peur. Parce qu'il ne fallait pas avoir peur. Sérénité était en train de dire où se trouvait sa Maman. Bientôt, elle aussi ferait son apparition à la télé.
Et elle le fit. Une photo de sa Maman apparut à côté de la dame de la télé alors qu'elle reprenait la parole. Mara reconnut ses cheveux noirs coupés courts, ses yeux aussi gris que les siens, si clairs et si brillants, ses lèvres pincées sur son visage d'Héroïne. Mara entendit la dame parler de Sérénité. De l'Héroïne Empathy, sa Maman, à la tête d'une agence de Héros de plus en plus célèbre.
Et elle dit qu'Empathy ne reviendrait pas.
Mara devina plus qu'elle ne vit du mouvement autour d'elle, autour de son Papa. Sentit plus qu'elle ne vit les regards se tourner vers eux, plein de pitié, plein de tristesse, plein d'appréhension.
Maman n'était pas revenue avec Sérénité parce qu'elle ne reviendrait pas.
« Et si un jour, tu veux me voir, mais que tu ne peux pas, pour n'importe quelle raison, alors retourne au lac. Je t'attendrai là-bas, mon arc-en-ciel. »
Mara pensa au lac.
Mais la tempête mugissait dans son refuge. Des vagues d'encre heurtaient la plage, s'élevaient si haut qu'elles lui cachaient la montagne blanche. Des nuages charbonneux s'amoncelaient dans le ciel et barraient la route au soleil jaune. Et la forêt perdait ses feuilles par milliers à cause du vent, ses feuilles qui noircissaient à une vitesse phénoménale.
Les couleurs n'existaient plus. Sa Maman ne l'attendait pas. Il ne restait que le noir.
Noir terreur.
Noir malheur.
Noir douleur.Son Alter hurlait dans son cœur et tambourinait sous son crâne, de plus en plus puissant.
Mara n'essaya même pas de le contenir.
Sa Maman n'était pas au lac. Sa Maman n'était nulle part.
Alors l'Alter se déchaîna.
Violence.
Il se propagea autour de Mara et engloba la pièce en un éclair, invisible.
Souffrance.
Tous les résidents de la petite pièce s'effondrèrent en hurlant. Son père la lâcha, un cri de douleur et de peine mêlées lui déchirant la gorge. Mara criait aussi, de toutes ses forces, pour repousser tout son désespoir. La porte de leur refuge s'ouvrit, claqua contre le mur, et une personne supplémentaire chuta, fauchée net à l'entrée de la pièce par son Alter incontrôlable.De longues secondes plus tard, Mara, vidée de ses forces, s'évanouit.
La douleur disparut aussitôt. Des enfants se relevèrent en pleurant, les membres secoués de tremblements violents, tandis que les adultes tentaient de ramener le calme malgré leurs nez en sang et leurs têtes encore douloureuses.
Mara, roulée en boule dans les bras de son père, dormait, sa souffrance momentanément apaisée.
Le lac avait retrouvé ses couleurs.
Mais Mara avait perdu les siennes.
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Des Couleurs plein le Coeur |MHA|
Fanfic« S'il y a bien une chose que mon expérience m'a apprise, c'est que personne ne se résume à une couleur. Aucun Héros n'est tout blanc ; eux aussi souffrent du rouge violent de la colère. Tout comme aucun Vilain n'est tout noir ; combien en réalité p...