Chapitre 30

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La tête que fit le médecin en venant leur ouvrir la porte fut indescriptible. Un mélange d'incrédulité et d'effroi. Esther et Paul soutenaient tous deux Leonhard par une épaule. Jean était rentré se changer et se nettoyer au manoir avant que les autres officiers n'arrivent pour dîner. Ils avaient encore un peu de temps, il était 18h et quelques. Le chemin n'avait pas été de tout repos. Leonhard arrivait à peu près à marcher au début, quoiqu'un peu lentement mais la fièvre l'avait épuisé petit à petit si bien qu'il était s'était effondré dans la forêt, ses jambes ne pouvant plus le soutenir. Une fois aux abords du village, ils avaient dû attendre que la voie soit libre et avaient failli être repéré par une patrouille. Ils s'étaient cachés dans une étroite ruelle jusqu'à ce qu'elle reparte. Heureusement, à cette heure de la journée, il n'y avait pas grand monde dans les rues de Rochefort : les gens avaient déjà récupéré leurs enfants de l'école et la plupart des hommes étaient encore en mer pour pêcher. De plus, il faisait déjà nuit, si bien que les quelques curieux qui auraient regardé par leur fenêtre à leur passage n'auraient pas pu les reconnaître. Une fois dans le cabinet du médecin, Paul et Esther aidèrent Leonhard à s'allonger sur la table d'auscultation. Puis Paul s'excusa et expliqua qu'il devait partir car on l'attendait pour dîner avec les autres officiers.
- Je comprends, fit le médecin. Esther, veux-tu bien rester pour m'aider ? Ce ne sera pas long. Carole est à Paimpol. Elle ne rentre que demain. Il me manque donc une paire de mains.
- Oui, bien sûr, répondit aussitôt la jeune fille.
Elle avait dit ça sans réfléchir et se rendit compte qu'il fallait qu'elle soit rentrée chez elle pour dîner, sans quoi ses parents lui ferait subir un interrogatoire et elle aurait bien du mal à se trouver des excuses. Mais en même temps, elle voulait s'assurer que Leonhard irait bien. Et aussi qu'il pourrait au moins tenir seul sur ses deux pieds pour aller dîner en compagnie des Laurencin. Si jamais il n'y allait pas, ses supérieurs se poseraient des questions et risqueraient d'avoir des soupçons. Le médecin regarda l'arcade sourcilière de Leonhard puis tâta son visage au niveau du front, des pommettes ou du menton en demandant s'il ressentait une quelconque douleur. Ce à quoi le jeune homme répondait souvent par l'affirmative.
- Bon, vous avez quelques bleus et une ou deux bosses. Pour ce qui est de votre sourcil, il ne s'agit que d'une petite coupure qui devrait cicatriser assez vite une fois désinfectée. Un peu de glace et ça sera largement suffisant. Pourriez-vous déboutonner votre chemise pour que je puisse regarder d'un peu plus près vos blessures ?
Leonhard acquiesça et entreprit d'ouvrir sa chemise. Il procéda lentement mais le médecin le laissa faire sans montrer de signes d'impatience. Puis Lefebvre écarta les pans de la chemise et regarda le torse du jeune homme. Esther ne pouvait rien voir car le médecin lui tournait le dos et était juste devant l'officier. Ce dernier se crispa et gémit lorsque le docteur appuya sur son abdomen, probablement au niveau de la blessure :
- Veuillez m'excuser lieutenant mais il faut que je vérifie que vous n'ayez rien de cassé, expliqua le médecin.
Il continua d'appuyer autour de la blessure, au niveau des cotes pendant quelques instants. Une fois de plus, le cœur d'Esther se serra dans sa poitrine lorsqu'elle vit Leonhard serrer les pans de la table sur laquelle il était allongé. Le cuir émettait un léger grincement, comme une complainte, entre les doigts serrés du jeune homme.
- J'ai bien peur que vous n'aillez besoin de points de suture pour celle-ci, annonça le médecin.
Ça risque de faire un peu mal mais de ce que je vois, vous y êtes habitué.
« Vous y êtes habitué ». Parlait-il de la douleur ? Ou des points de suture ? Il est vrai que si l'on est habitué au second, on est également coutumier du premier. Esther regarda le jeune homme et fut surprise de l'expression qu'il afficha : on aurait dit de la colère. Était-ce par rapport aux paroles du médecin ? Lui rappelait-il de mauvais souvenirs ?
- Je reviens, dit le médecin, je vais préparer mes ustensiles. Esther, peux-tu venir avec moi quelques instants ? J'ai à te parler.
La jeune fille s'exécuta et sorti de la pièce sur ses talons. Une fois la porte du cabinet refermé, il se tourna vers elle, le regard chargé d'une profonde inquiétude :
- Nom de Dieu ! Mais qu'est-ce qu'il s'est passé ? Que lui est-il arrivé ? Esther piétina sur place, les mains moites. Que dire ?
- Je ne sais pas trop..., entama-t-elle timidement.
- Esther, ne me mens pas !
- Charles, je ne peux rien vous dire, s'exclama la jeune fille. S'il vous plaît, ne me posez pas de questions. Sachez seulement que le lieutenant n'a rien fait de répréhensible. Ce qui est arrivé était un accident, rien de plus.
- Tu me jures que ce n'était que ça ? Il ne s'est battu avec personne ? Et vous n'avez rien à voir là-dedans ?
- Je vous le jure. On l'a trouvé blessé, assura-t-elle.
Là, au moins, elle n'avait pas besoin de mentir.
- Bon... je te crois.
- Dites, pensez-vous que vous pourrez finir ses points de suture avant 8h, ce soir ? demanda la jeune fille.
- Ca devrait être possible. Pourquoi ?
Elle le regarda avec un sourire désolé.
- Ah oui ! C'est vrai : pas de questions, bougonna le médecin. Bon... tu peux y retourner. Moi je vais chercher mon matériel.
La jeune fille le remercia et retourna dans la salle d'auscultation. Leonhard était toujours allongé. Il regardait fixement le plafond avec un air furieux.
- Tu vas y percer un trou à force de le fixer, plaisanta Esther.
Il tourna la tête vers elle, un peu étonné. Il ne l'avait pas entendu arriver. Il lui sourit faiblement. Elle avait envie de lui demander ce que le médecin avait voulu dire tout à l'heure. Mais elle jugea que le moment était inopportun. Le jeune lieutenant avait l'air de mauvais poil depuis cette remarque. Un lourd silence s'installa. Esther cherchait à dire quelque chose pour le combler mais rien ne lui vint. Puis, elle posa ses yeux sur le torse du jeune homme, là où le clou s'était enfoncé. Le sang autour avait séché. La plaie n'était pas large mais elle semblait profonde. Elle remarqua une autre cicatrice un peu plus haute sur l'abdomen. Elle était difficilement visible avec la poussière qui recouvrait le jeune homme. Sans vraiment faire attention, Esther s'approcha de lui pour mieux la voir. Elle avait dû lui être faite longtemps auparavant car elle était très fine et avait une teinte rose pâle. En s'approchant, elle s'aperçut que d'autres cicatrices recouvraient son corps. Il en avait sur les côtes, le torse, le sternum, à la base du cou... mais elles semblaient s'arrêter là. Esther resta plusieurs instants ainsi, à étudier la moindre parcelle de peau visible du jeune homme. Sous la poussière, les ecchymoses et les quelques traces de sang, on percevait des muscles bien dessinés et solides.Elle l'observait attentivement. Puis leurs regards se croisèrent et elle se rendit compte de leur proximité. Elle fit un pas en arrière, embarrassée mais Leonhard saisit son poignet pour la retenir près de lui. La jeune fille le regarda avec surprise. Il relâcha aussitôt son étreinte.
- Pardon, je ne voulais pas te surprendre. C'est juste que...
Il se retint de dire la suite : « je ne voulais pas que tu t'éloignes de moi ». Il se traita intérieurement d'imbécile. Mais la jeune fille restait là, muette, attendant la suite. Leonhard s'efforça de trouver une autre formulation pour poursuivre :
- C'est juste que je me demande pourquoi tu recules ?
Elle fronça les sourcils et le regarda avec incompréhension.
- J'ai pensé que tu serais agacé ou en colère.
Ce fut au tour de la Leonhard d'afficher une moue d'incompréhension.

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