Ostru: Fragments d'un Monde Déchu

Chapitre 46

Pourquoi ?
C'est la seule question qui tourbillonnait dans l'esprit d'Itani, comme un écho obsédant qui ne cessait de rebondir dans les tréfonds de son être. Son cœur s'emballa, frappant violemment contre sa poitrine, à tel point que le monde autour d'elle sembla se distordre, ralentir, devenir flou. Chaque battement résonnait dans ses oreilles, si fort qu'il noyait le reste du monde dans un bourdonnement assourdissant. Peu importe à quelle vitesse son cœur battait, peu importe à quel point son souffle se faisait court, elle était paralysée par l'incompréhension.

Sa vue se rétrécissait, comme si un voile sombre l'enveloppait, rendant tout autour d'elle flou, irréel. Pourtant, elle savait. Elle savait que tout cela était affreusement réel. Trop réel. La destruction, la cendre, la mort qui imprégnait chaque recoin de Pisani, tout cela était indiscutablement vrai, tangible, et brutal. Mais la question restait là, obstinée, s'accrochant à ses pensées avec une intensité qui refusait de la laisser en paix.

Pourquoi ?

Pourquoi les êtres humains étaient-ils capables d'être si horribles ? Pourquoi la cruauté semblait-elle gagner à chaque fois, écrasant tout sur son passage ?
Elle se souvenait des histoires qu'on racontait aux enfants, ces contes où les héros triomphaient toujours du mal, où la justice était rendue, et où, à la fin, tout finissait par s'arranger. Mais ce n'était jamais le cas dans la vraie vie, n'est-ce pas ? Il n'y avait pas de justice ici, pas de rédemption pour ceux qui souffraient.

Pourquoi faut-il toujours que la douleur soit la seule constante ? Pourquoi la souffrance semblait-elle être une sentence, quelque chose qu'ils devaient tous supporter, sans exception ? Qu'avaient-ils fait pour mériter tout cela ? Qu'avait fait Dona, ou même Kerk, pour mériter une telle fin ? Rien de ce qu'ils avaient fait dans cette vie ne justifiait un tel châtiment. Ils avaient juste essayé de survivre, de trouver un semblant de bonheur dans ce monde en ruines.

Les habitants de Pisani, eux aussi, avaient mérité mieux. Ils vivaient, tout simplement. Ils avaient bâti leur vie dans cette ville, une existence modeste mais paisible. Ils ne demandaient rien de plus. Pourquoi fallait-il que tout cela leur soit arraché si brutalement ? Pourquoi fallait-il que ce monde les écrase, les broie jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien d'eux, à part des cendres flottant dans l'air ?

Cette cruauté insensée la rendait folle. Elle avait envie de crier, de hurler à l'injustice, mais sa gorge était nouée, sa voix étouffée par le poids de toutes ces questions sans réponse. Elle était prise au piège dans cette spirale de désespoir, incapable de s'en extirper, comme si la douleur elle-même la retenait, l'empêchant de voir au-delà de cet instant de pure détresse.

Pourquoi ?

La question résonnait dans son esprit, telle une cloche funeste qui étouffait toute autre pensée. Les souvenirs, brouillés par le chaos émotionnel, commençaient à se mêler à ce tourbillon infernal. Elle se revoyait, plus jeune, pleine d'espoir, pleine de rêves de justice, à lutter pour être le héros des autres. Tout ce qu'elle avait sacrifié, toute cette enfance qu'elle avait mise de côté pour permettre aux autres de vivre, d'avoir ce qu'elle n'aurait jamais. C'était ce qu'elle s'était toujours dit : son existence avait un but plus grand.

Les images de Phran lui revinrent, son sourire doux mais plein d'admiration quand elle lui disait de ne pas en faire autant, de ne pas porter tout le poids du monde sur ses épaules. Elle se revoyait encore à cette époque, se nourrissant de cet éclat d'admiration, y trouvant la force de continuer. Puis Tom, ce visage familier, lui conseillant de ralentir, de se reposer parfois. « Être le héros des autres peut être épuisant, » disait-il, tout en arborant ce sourire fier qu'il ne pouvait jamais cacher. Ils voyaient tous en elle quelque chose de plus grand qu'elle-même. Elle l'avait toujours su. Et pourtant...