Chapitre 1: prologue

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Il s'approcha, ses pas résonnant avec un rythme sinistre, comme un métronome funèbre, se mêlant aux cris apeurés et aux sanglots étouffés des survivants autour de lui. Chaque son amplifiait le poids écrasant de l'atmosphère, et pourtant, il avançait, imperturbable. Ses yeux fatigués parcouraient la scène, capturant chaque détail de cette pièce autrefois majestueuse, désormais réduite à un amas de ruines. Les colonnes brisées et les murs noircis racontaient l'histoire d'un monde qui touchait à sa fin, un monde englouti par sa propre arrogance.

Il ne pouvait pas pleurer. Les larmes semblaient lui avoir été arrachées, desséchées par des jours de souffrance sans fin. Et pourtant, ses yeux rouges, bordés de veines éclatées, et les cernes sombres marquant son visage racontaient une tout autre vérité : il avait pleuré, encore et encore, jusqu'à ce que les larmes ne soient plus qu'un souvenir.

Le silence s'installait parfois entre les pleurs et les murmures des foules, mais il n'était jamais apaisant. Une file interminable de personnes se pressait dans le chaos, attendant leur tour avec une résignation glaciale. Chacun espérait, ou redoutait, entendre son nom.

Quand son tour vint, son nom fut crié d'une voix rauque, écorchée par des heures de supplications et d'ordres. Il releva la tête, inspira profondément, puis entra dans la seule pièce encore debout. Ses pas semblaient plus lourds à chaque foulée, comme si l'air même résistait à sa progression.

À l'intérieur, l'ambiance changea. Le silence devint presque palpable, une chape de plomb qui écrasait tout. La lumière tamisée filtrait à travers des vitraux brisés, projetant des éclats de couleurs fanées sur les murs fissurés.

Et là, au centre, assis sur un trône de fortune assemblé à la hâte, se tenait l'homme qui venait de se proclamer roi. Il n'avait rien de royal, rien de majestueux. Ses vêtements usés et son visage creusé par la fatigue parlaient d'un homme acculé, désespéré, mais suffisamment ambitieux pour s'ériger au-dessus des autres dans ce chaos.

« John Rock ? Habitant de la ville de... » L'homme en face de lui fouilla quelques instants dans son cahier, un registre lourdement usé par le temps et l'usage. Les pages jaunies craquaient sous ses doigts, et le silence tendu ne laissait entendre que le bruissement du papier.

« Franklya, Monsieur Angun, » répondit John, d'un ton ferme et mesuré, cherchant à gagner un peu de temps. Sa voix, pourtant, résonna plus durement qu'il ne l'aurait voulu. Le ton strict qu'il avait adopté semblait vouloir masquer une tension sous-jacente, mais il ne pouvait échapper à son propre regard, un regard qui trahissait un esprit en éveil constant, calculant chaque mouvement, chaque mot.

Il porta machinalement une main à ses cheveux courts et crépus, qu'il gratta distraitement. Sa peau, d'un brun profond et lumineux, absorbait les derniers éclats de lumière filtrant par les vitraux en morceaux. Il était jeune ; à peine 22 ans, un détail qu'il n'oubliait jamais, bien qu'il se sente souvent bien plus vieux que son âge.

Face à lui, le jeune roi Angun semblait à peine plus âgé. Peut-être 23, tout au plus. Mais l'épuisement marqué sur son visage, les cernes qui alourdissaient son regard, et la rigidité de sa posture racontaient une toute autre histoire. Ce n'était pas la jeunesse d'un homme au début de sa vie qu'on lisait sur ses traits, mais celle d'un homme déjà écrasé par le poids d'une couronne qu'il n'avait pas encore eu le temps de mériter.

Un silence s'installa entre eux, lourd et chargé d'une tension presque palpable. John, malgré lui, détailla le jeune roi : sa tenue simple, loin de la richesse des souverains d'antan ; ses mains fines mais nerveuses, crispées sur l'accoudoir d'un trône improvisé ; et surtout, ce regard, un mélange étrange d'arrogance et de désespoir.

Ostru: Fragments d'un Monde DéchuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant