Ostru: Fragments d'un Monde Déchu

Chapitre 33

Deux jours s'étaient écoulés depuis leur départ de la demeure de Romy, et désormais, ils étaient en route, à seulement quelques heures d'atteindre Docks. Aster et Phran, après ce court séjour sous l'hospitalité capricieuse de Romy, se retrouvaient à bord d'un immense voilier, loin du confort moderne mais imposant par sa taille. Le navire, plein de passagers, était en perpétuel mouvement. L'air était saturé des voix des voyageurs, un bruit de fond continu qui rendait toute tentative de réflexion difficile.

Phran, depuis plusieurs jours, avait noté un changement subtil dans le comportement d'Aster. Il était plus attentif, plus loquace, tentant de faire des efforts maladroits pour engager des conversations. Son air habituellement arrogant avait été remplacé par un mélange de culpabilité et de nervosité. Aster cherchait, visiblement, à se racheter auprès de Phran, bien qu'il ne sache pas vraiment comment s'y prendre. Mais peu importe ses tentatives, cela ne semblait faire aucune différence pour elle.

Phran restait impassible, distante, son visage froid et fermé comme un mur infranchissable. Elle n'avait ni le temps ni l'énergie pour s'attarder sur les remords d'Aster. Chaque échange entre eux était marqué par des silences pesants, et même quand elle répondait à ses questions, ses paroles étaient tranchantes, sans émotion. Aster sentait ce fossé s'élargir entre eux, et chaque échec dans ses tentatives pour se rapprocher semblait l'enfoncer un peu plus dans sa culpabilité.

Le pont inférieur où ils reposaient, bordé de hamacs et de cabines partagées, était empli de voyageurs de toutes origines. Le bruit de leurs discussions, le grincement régulier des planches du bateau et le craquement des voiles sous le vent rythmaient chaque instant. Phran, bien qu'elle ne puisse plus voir, sentait le mouvement continu du navire, le tangage léger qui accompagnait chaque vague. Elle percevait également la foule, ses mouvements, ses conversations, ses rires et ses chuchotements. Tout cela lui parvenait de façon plus aiguisée, ses autres sens comblant l'absence de sa vue. Elle apprenait à s'adapter, à réagir différemment.

Elle avait compris depuis leur départ à quel point Romy pouvait être imprévisible. Aster avait raison en affirmant que tout dépendait de son humeur. Il y avait eu des moments où leur expulsion avait semblé imminente, surtout lorsque Romy, prise dans ses propres tourments, avait soudainement voulu les mettre dehors. Cependant, grâce à l'intervention d'Arthur, toujours calme et mesuré, ils avaient pu rester jusqu'à la fin du délai initialement prévu.

Pour Phran, ce séjour n'avait été qu'un répit temporaire. Chaque jour passé dans cette maison avait été marqué par la tension, par l'inquiétude de l'inévitable confrontation avec le monde extérieur. Elle ne trouvait aucun réconfort, ni dans les tentatives d'Aster de rattraper ses erreurs, ni dans l'atmosphère tranquille que Romy et Arthur avaient essayé de créer. Son esprit était constamment hanté par son désir de vengeance, par cette détermination féroce de ne pas rester passive face à ce qui lui avait été enlevé.

Elle avait appris à contrôler sa colère, à ne pas laisser transparaître le tourment qui la dévorait de l'intérieur, mais cela ne signifiait pas pour autant qu'elle oubliait. Chaque mot, chaque geste d'Aster la ramenait à sa douleur, et elle ne voyait aucune raison de lui accorder le pardon qu'il cherchait désespérément.

Alors qu'elle restait assise dans son coin du navire, écoutant distraitement le brouhaha environnant, elle serra les poings, ressentant à nouveau cette rage sourde monter en elle. La proximité constante d'Aster, son besoin de réparer les dégâts qu'il avait causés, n'était qu'un rappel quotidien de sa trahison.

Phran avait bien compris une chose : les mots ne suffiraient jamais à effacer ce qui s'était passé.

Plongée dans ses pensées, Phran fut tirée de sa réflexion par des voix d'hommes, rauques et chargées d'arrogance. Ils semblaient d'âge mûr, et un profond soupir s'échappa de ses lèvres, anticipant déjà ce qui allait suivre.