Chapitre 53 : L'auberge des Sommets

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La pluie avait cessé, mais la ville suintait encore sous l'humidité stagnante d'un orage récent. L'air était chargé d'une moiteur lourde, pesante, qui collait aux vêtements et infiltrait les pierres des bâtiments fatigués. Les lanternes accrochées aux murs projetaient des lueurs hésitantes sur les pavés, révélant des flaques luisantes dans lesquelles se reflétaient les ombres fuyantes des passants pressés.

Styx et moi marchions en silence à travers les rues de For'Leona. L'auberge des Sommets se dressait en hauteur, surplombant un quartier où le luxe et la misère s'entremêlaient avec une aisance presque insultante. Les enseignes dorées des boutiques d'orfèvres côtoyaient les mendiants affalés sous des porches, les demeures richement décorées juraient avec les venelles poisseuses d'où s'échappaient des murmures d'affaires clandestines. Nous avions laissé Sylthis et Daemon à l'auberge. Cela valait mieux pour sa sécurité.

Je portais une tenue plus soignée qu'à l'accoutumée – une veste sombre aux broderies subtiles, une chemise propre, un pantalon ajusté. Styx m'avait enseigné comment user de la magie de la création pour transformer un lambeau de tissu en un vêtement digne de ce nom. Ce n'était pas parfait, et cela m'avait coûté une énergie que je sentais encore peser sur mes épaules, mais c'était suffisant pour ne pas paraître déplacé dans un lieu comme celui où nous nous rendions.

« Tu t'en es bien sorti », commenta Styx d'un ton neutre alors que nous approchions du grand bâtiment aux vitraux éclatants. « Mais la prochaine fois, visualise mieux les coutures. »

« La prochaine fois ? » répliquai-je avec un sourire en coin. « Tu comptes faire de moi un tailleur ? »

Elle laissa planer un silence, son regard brillant d'une lueur indéchiffrable. Puis elle haussa les épaules, feignant l'indifférence. « Peut-être. Un assassin bien habillé est un homme qui survit. »

Je n'eus pas la force de répondre. Mon esprit était ailleurs. Je ne savais pas ce qui m'attendait derrière ces portes, et plus nous approchions, plus l'ombre d'un piège invisible s'étendait devant moi.

L'auberge des Sommets portait bien son nom. Contrairement aux taudis crasseux de For'Leona, elle était un vestige du faste d'autrefois. Une immense bâtisse de pierre polie, des balustrades ouvragées, des vitraux représentant d'anciennes batailles de la guerre de Karma. Chaque détail transpirait la richesse et le raffinement.

Un portier en livrée ouvrit la porte d'un geste fluide, sans même nous adresser un regard. L'intérieur était encore plus impressionnant. Les murs, d'un blanc ivoire, étaient ornés de trophées de guerre : épées elfes incrustées de gemmes, armures humaines aux reflets métalliques. Un immense chandelier surplombait la salle, projetant une lumière chaude sur les convives.

Des dizaines de personnes étaient assises aux tables, discutant à voix basse ou échangeant des sourires complices. Ce qui attira mon attention, ce fut la diversité des invités. Des humains en habits somptueux, des elfes aux robes longues et raffinées, des Tigeras aux poils lustrés, assis en retrait, comme s'ils attendaient un signal. C'était un véritable carrefour de la haute société clandestine.

Je serrai les poings sous mon manteau.

Une serveuse nous guida vers l'étage, où une pièce plus intime nous attendait. Dès l'instant où je franchis le seuil, je la vis.

Camilla.

Assise nonchalamment sur une chaise de velours, une coupe de vin entre les doigts, elle m'observait avec ce sourire paresseux propre aux prédateurs qui savent qu'ils n'ont rien à craindre. Sa peau sombre contrastait avec ses yeux d'un vert éclatant, perçant.

Une chevelure brune, tressée en un chignon élégant, dévoilait la finesse de ses traits. Sa robe, noire et sobre, était taillée pour le mouvement – et à sa hanche, une rapière luisait sous la lumière tamisée. Derrière elle, presque immobiles, deux Tigeras massifs montaient la garde. Leur muselière renforcée indiquait qu'ils n'étaient pas là pour faire joli.

Le Destin d'Aëdan [Original Story]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant