Le Destin d'Aëdan [Original Story]

Chapitre 12 : Valse et sommeil

Après l'aboutissement de notre mission diplomatique, Isil insista pour que je prolonge mon séjour en territoire elfique. Nous fûmes logés dans l'un des fastueux manoirs de la royauté, un édifice grandiose aux murs d'un beige ocre, coiffé d'un toit sombre et s'élevant sur trois niveaux. Un sous-sol, réservé à la domesticité, complétait l'ensemble.

Le rez-de-chaussée s'ouvrait sur une vaste salle de réception, baignée de la douce lueur de lustres scintillants. Un petit musée et une armurerie ornaient ce même étage, rappelant la longue histoire de la lignée elfique. Au premier étage, six grandes chambres, destinées à des hôtes de marque, offraient un confort digne d'un palais. Enfin le dernier étage, quant à lui, demeurait le domaine intime de la famille royale, veillé par des gardes silencieux et impassibles.

Je m'attendais à être logé parmi les valets, mais Isil réclama que je bénéficie moi aussi de l'une des chambres nobles. Ainsi, ce soir-là, après m'être rafraîchi et reposé des exercices d'escrime quotidiens, je descendis dans la pièce principale du manoir : le salon.

La salle, habituellement prête à accueillir bals ou banquets, avait été transformée pour l'occasion. Une table élégamment dressée trônait en son centre, agrémentée de fins bouquets floraux, et un coin salon se détachait, avec plusieurs fauteuils moelleux disposés autour d'une table basse en bois poli. Des bougies diffusant une clarté tamisée projetaient sur les murs des ombres vacillantes, créant une ambiance feutrée, presque romantique.

En pénétrant dans ce salon métamorphosé, mon regard se porta aussitôt sur la princesse, absorbée dans la lecture d'un livre ancien. Les flammes des bougies dansaient sur son visage, mettant en valeur la délicatesse de ses traits. Lorsqu'elle leva les yeux et croisa mon regard, un sourire lumineux effaça toute distance, comme si le temps se suspendait dans ce cocon enchanté.

Le livre qu'elle tient...

Je notai aussitôt que l'ouvrage était dans un état lamentable : sa couverture décolorée laissait voir un sceau d'épées croisées déjà presque effacé, et certaines pages semblaient se détacher.

« Voilà un livre qui a dû traverser les âges, fis-je en m'approchant.
— Tu as l'œil, » répliqua Isil, lueur malicieuse au coin des lèvres.

Je pris un siège en face d'elle, et une servante s'approcha pour me proposer un thé parfumé. Pendant qu'elle s'affairait, je reluquai le vieux sceau usé sur la couverture.

« De quoi s'agit-il ?
— La biographie d'un duc elfique que j'admire beaucoup. Il y détaille les fondements de l'Escrime », répondit-elle en fermant soigneusement l'ouvrage.

Au fil des mois passés à ses côtés, j'avais saisi combien l'escrime occupait le cœur de son existence. Chaque jour, elle trouvait le temps de s'entraîner, et on la disait victorieuse de maints tournois. Pourtant, je ne lui avais jamais demandé la source de cette passion inextinguible.

« D'après la légende, cet Elfe aurait été le pionnier des trois styles majeurs, ceux-là mêmes que Lefournis t'a mentionnés, expliqua-t-elle en se penchant, son visage illuminé d'un enthousiasme presque enfantin.
— Il maîtrisait les trois écoles ? m'exclamai-je, interloqué.
— Exactement ! Et ce n'est pas tout : c'était aussi un grand général, un héros de guerre vénéré chez nous »,  renchérit-elle.

La domestique, posant ma tasse de thé, acquiesça d'un signe de tête.
« Oui, ce duc est souvent cité dans nos académies. Il a repoussé les armées démoniaques à l'aide de sa lame légendaire, Luminia, » ajouta-t-elle.

Devant la façon dont Isil se dandinait en parlant de son "superhéros", je ne pus retenir un sourire attendri.

« Mais ce n'est pas tout !  poursuivit-elle, comme si elle narrait un conte épique. Alors que notre peuple, épuisé par la guerre, faisait face à la trahison des Tigeras, un certain roi humain, Karma, intervint... Mais il refusa de mener la bataille à son terme. »