For'Leona n'offre aucun répit.
Je détestais déjà cette ville. Ses ruelles étaient des couloirs d'ombre et de vice, des veines charriant la souffrance, battant au rythme des pas furtifs et des échanges murmurés. Le crime y était aussi banal que la respiration. Et l'air lui-même était une agression. J'avais du mal à croire que les elfes, d'ordinaire si respectés, pouvaient fermer les yeux sur les horreurs de cette cité.
La chaleur résiduelle du jour s'accrochait aux murs, rendant l'humidité poisseuse, collante comme une seconde peau. L'odeur du vin éventé, des épices tournées et de la sueur rance s'enroulait autour de moi comme un serpent invisible. Mais au-delà de cette fange familière, une autre senteur s'imposa à mes narines : celle du désespoir. Elle était partout. Dans les pavés souillés, dans les visages tendus, dans la crasse incrustée sous les ongles de ceux qui n'avaient plus d'autre choix que de survivre.
J'avançais en silence, mes bottes effleurant les pierres humides. Chaque pas était mesuré, chaque geste calculé. Je me fondais dans la nuit, devenant une ombre parmi les ombres.
J'aurais dû me concentrer sur ma mission.
Fläme.
Je devais infiltrer leur réseau, Fläme, marcher dans la fange avec eux sans me noyer. L'idée seule me donnait envie de vomir.
Puis, un son m'arrêta. Un bruit infime, presque noyé sous les battements de la pluie fine. Un souffle. Un murmure.
« Maman... »
Ma respiration se bloqua. Un appel fragile, perdu dans l'indifférence de la ville. Je tournai la tête.
Et à l'angle d'une ruelle noyée dans l'obscurité, je la vis.
D'abord, ce ne fut qu'une forme indistincte, un amoncellement de chiffons sales trempés par la pluie. Puis, un frisson. Un frémissement à peine perceptible. Mon cœur se serra.
Une cage. Pas plus grande que celles utilisées pour les chiens de combat. Des barreaux épais, rouillés par l'humidité, un cadenas noirci par les années. Et à l'intérieur...
Une enfant. Trop petite. Trop maigre.
Elle était recroquevillée, son corps frêle replié sur lui-même, comme si elle tentait de disparaître. Ses cheveux, d'un rouge profond, pendaient en mèches trempées sur son visage caché. Un vestige de lumière dans un monde qui l'avait abandonnée. Elle portait une tunique blanche déchirée, un tissu autrefois pur, aujourd'hui réduit à un haillon crasseux collé à sa peau. Ses jambes nues étaient parsemées de marques violacées, certaines récentes, d'autres plus anciennes. Témoins muets de ce qu'elle avait subi.
Puis, je vis ses ailes. Brisées. Est-ce une ange ? Je n'en avais jamais vu. L'une d'elles pendait, tordue, le plumage souillé par la boue, l'os fracturé saillant sous la chair tuméfiée.
Elle pleurait. Pas ces pleurs bruyants d'enfants qui réclament un réconfort. Un sanglot sourd, résigné. Un son qui disait qu'elle ne s'attendait plus à rien.
Mon corps se figea. Un étau invisible se referma sur ma poitrine. Un instant, ce ne fut plus elle que je voyais, c'était moi. Petit. Tremblant face à la violence de mon père. Le souvenir de ces soirées où il me battait me donna un haut-le-cœur. Je serrai le poing, mes ongles s'enfonçant dans ma peau jusqu'au sang. Les humains sont vraiment horribles. Si je détourne les yeux maintenant, je ne vaux pas mieux que lui. Comme quand il fermait la porte derrière lui, ignorant mes cris. Comme quand personne n'est jamais venu pour moi. Isil... J'avais l'occasion d'agir comme elle et de libérer quelqu'un d'un quotidien atroce.
Daemon, perché sur un tonneau renversé, fixait la scène. Son regard de félin, d'ordinaire flegmatique, s'était durci. Il murmura, d'une voix plus grave qu'à l'accoutumée :
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Le Destin d'Aëdan [Original Story]
FantastikDans les ruelles sombres de For'Royal, la misère côtoie la majesté des tours elfiques. Aëdan, un jeune humain marqué par la brutalité du monde qui l'entoure, grandit dans l'ombre et la violence. Chaque nouveau matin pourrait être son dernier, tandis...