Chapitre 2

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Le garçon me fixait toujours, et je lui ai fait signe de s'asseoir à côté de moi. Il a prit place et je lui ai proposé un biscuit.
Ainsi, parfaits inconnus que nous étions, nous avons partagé un paquet de biscuit en observant San Francisco de loin.
-Tu habites près d'ici?, m'a-t-il demandé.
-Ouais, enfin, je suis dans un petit appartement avec mon père.
-Tu ne l'aimes pas?
-Pourquoi tu dis ça?
-Comme tu prononces ce nom, expliqua-t-il, la bouche pleine. On dirait que tu ne t'entends pas bien avec lui.
J'ai soupiré bruyamment.
-Pas vraiment, non. Et toi, tu habites aussi ici?
-Euh, ouais, on peut dire ça.
-Je suis sensée comprendre quoi?
Il ne m'a pas tout de suite répondu, comme si il réfléchissait profondément à ce qu'il allait dire.
-Je suis orphelin, finit-il par dire. Je suis dans un orphelinat pas loin d'ici.
-Et t'as le droit de sortir comme ça?
Il a rit doucement.
-Pas trop, nan. Mais je pars souvent en douce. Ils sont trop stricts, là où je vis. Ils croient que je suis la clé de tous leurs problèmes et s'appuient sur moi alors que je n'aie que douze ans...
En voyant que je le scrutais sans comprendre, il s'est reprit.
-Enfin, ouais, je suis orphelin quoi.
Nous avons parlé encore un petit moment de tout et de rien, et j'ai dû me résoudre à rentrer. Je l'ai salué, en lui disant que j'espérais le revoir, et me suis dirigée vers les voitures. J'avais la flemme, alors j'ai sauté dans le premier taxi pour rentrer. En arrivant, je me suis glissée par la fenêtre de ma chambre et j'ai enlevé mon pull. Je me suis affalée sur mon lit et j'ai dormi instantanément.

Je me suis réveillée aux alentours de 10 heures et je me suis frottée les yeux en baillant. J'avais envie de prendre une douche, mais j'étais toujours enfermée dans ma chambre. Alors j'ai juste pu me changer. J'ai enfilé un jean déchiré et un t-shirt bleu marine. Je me suis tournée vers le miroir et ai entreprit de démêler ma tignasse noire. À la lueur sombre de la pièce, mes yeux couleur café paraissaient complètement noirs. Je tenais sûrement cette couleur de ma mère, mon père ayant des yeux plutôt verts. Et mes cheveux aussi. Mon père les avaient châtains auparavant, mais maintenant ils étaient gris. Quant aux miens, ils étaient noirs et lisses. Mais épais, très épais. Tellement que je ressemblais à un mouton qui se serait lissé tout le corps. Je soupirai quand la porte de l'appartement claqua. J'ai entendu mon père, furax, jeter un sac de courses sur la table avant de se diriger vers ma chambre.
Oh oh.
Je me suis retournée au moment où il déverrouillait la porte et entrait. Ses yeux avaient un éclat fou. Il s'est précipité vers moi m'a aggrippée par les bras en me plaquant contre le mur.
-Alors comme ça, mademoiselle est sortie hier soir?, m'a-t-il dit en me soufflant son haleine acide au visage.
-De quoi?, ai-je répondu, complètement pommée. Comment était-il au courant?
-Figure-toi que je suis allé faire des courses, et que j'ai parlé avec la caissière. Elle m'a dit qu'elle t'avait vue hier soir.
À ce stade, j'avais vraiment peur. Mon père était bourré et en colère, il était capable de tout. Aucun son ne sortait de ma bouche quand il m'a giflée. Je suis tombée à terre en portant la main à ma joue, mais il a continué. Il me donnait des coups de pieds, des coups de poing. Je me souviens avoir crié. Mais je ne pouvais rien faire, j'étais impuissante. Je me suis prise la tête entre les mains pour protéger mon visage, et j'ai réussi à lui balayer les jambes de mes pieds. Il s'est écroulé à terre en hurlant de rage, et je me suis vite relevée. Je voyais trouble, j'avais mal. Mais par-dessus tout, je voulais partir. Je suis sortie de la chambre, puis de la maison en courant. J'entendais les cris de mon père, les larmes coulaient sur mes joues. J'ai couru, couru, couru. Je ne savais pas où aller, je ne savais pas quoi faire. Jamais il ne m'avait fait ça. Je sentais encore sa main s'abattre sur ma joue, ses pieds se planter dans mon ventre. J'ai couru vers le seul endroit qui me semblait sûr. La colline d'hier soir. Je me suis assise et j'ai enfoui la tête dans mes genoux. Les larmes coulaient, ma vue se troublait, mon œil me brûlait. Et je suis restée là longtemps, attendant que la douleur ne passe. Mais rien ne passait. Je revoyais ses yeux, pleins de folie, j'entendais encore ses cris... Puis une voix, venant de l'extérieur, m'a tirée de ce cauchemar.
-Ambre? Que, qu'est-ce que tu as?!
Jason s'est accroupi près de moi et mes sanglots ont redoublés.
-Regarde-moi.
J'ai levé la tête et observé ses yeux. Il s'est approché et a posé délicatement deux doigts sous mon œil.
-Qui t'as fait ça?
Je n'ai pas répondu.
-Ambre, dit le moi. Qui t'a frappée?
-Mon père, ai-je dit d'une petite voix, presque inaudible.
Jason a serré les dents.
-Il a osé lever la main sur sa fille. J'y crois pas. Il faut te soigner.
Il a pris place près de moi et j'ai été surprise de le voir sortir une trousse de secours.
Il a sorti une pommade qu'il a appliqué sous mon œil, ainsi que sur plusieurs autres blessures. J'avais mal au ventre, je crois que mon père m'avait cassé une côte. Et pendant que Jason me soignait, mes pleurs n'arrêtaient pas. Lorsqu'il a eut fini, il m'a regardé tristement, et a sorti un mouchoir de la trousse.
-Tiens, prends ça.
J'ai pris le kleenex d'une main tremblante et ai entreprit d'essuyer mes joues, sous le regard de mon ami.
-Qu'est ce qu'il y a? ai-je demandé au bout d'un moment, alors qu'il me fixait toujours. J'ai l'air si horrible que ça?
-Non, c'est juste que...
Il secoua la tête.
-Oublie, une idée idiote.
Je ne lui ai pas posé plus de questions. Il a baissé les yeux sur mes habits déchirés et pleins de traces de chaussures.
-Tu peux pas rester comme ça. Je vais aller te chercher des habits au Cam... euh, à l'orphelinat. Reste ici, d'accord?
J'ai hoché la tête, puis Jason a dévalé la colline. Nous ne nous connaissions que depuis hier, mais je l'aimais beaucoup. Il était gentil, attentionné, pas comme tous ces gamins de ma classe. Il semblait mature, pour un enfant de douze ans. Et par-dessus tout, avec lui, je me sentais en sécurité, je me sentais bien.
J'ai attendu de longues minutes, en fixant la circulation de San Francisco. Et vingt minutes plus tard, Jason est revenu avec un sac à la main.
-Tiens, m'a-t-il dit en me tendant des habits. J'espère que c'est ta taille.
J'ai déplié le t-shirt et je l'ai observé.
Il était violet, une inscription barrait son milieu.
-SPQR? Ça veut dire quoi?
-C'est le, euh, non de mon orphelinat.
Je l'ai remercié, puis suis partie me cacher entre des buissons. Je dois avouer qu'enlever mon t-shirt a été une étape douloureuse. Maintenant, j'étais sûre que mon père m'avait cassé une côte, si ce n'est pas deux. J'ai enfilé mon nouveau t-shirt et un jeans propre, puis suis ressortie.
-Merci Jason. Je sais pas ce que j'aurais fait sans toi.
Je me suis assise à sa droite sur l'herbe fraîche. Il m'a souri, je lui ai souri, j'ai l'impression que tous mes problèmes s'envolent. Je pourrais rester des heures assise là, avec lui, mes yeux plantés dans son regard bleu glacier. Autour de la colline, comme dans la ville, un brouillard épais se formait. Mais s'était toujours comme ça à San Francisco, alors je ne me suis pas inquiétée. 
-Ambre, que s'est-il passé chez toi?
J'ai baissé les yeux en ravalant ma peur. Non, te remets pas à pleurer!
J'ai inspiré un grand coup, puis je lui ai expliqué.
-Quelqu'un a dit à mon père que j'étais partie hier soir. Il était bourré et furax, et il m'a frappée en criant que tout était ma faute, comme d'habitude. Je... J'ai eu peur, je me suis enfuie. Je ne veux plus jamais y retourner.
Mes yeux s'embuèrent, c'était trop. Je retenais difficilement mes larmes. Et là, Jason fit quelque chose qui m'a autant surprise que lui. Il s'est approché et m'a serrée dans ses bras. J'ai éclaté en sanglots en posant mon front sur son épaule. Il ne me disait rien, et je lui en était reconnaissante. Malgré mes pleurs, je me sentais en sécurité dans ses bras. Ce n'était pas de l'amour, non. C'était de l'amitié, de la vraie. Je n'avais jamais eu beaucoup d'amis, surtout à cause de mon caractère. J'étais fermée, et si qui que ce soit me disais quelque chose qui ne me plaisait pas, il pouvait dire adieu à ses dents. Mais dès le premier mot que Jason m'avait adressé, je l'avais apprécié. Il était gentil, sérieux, protecteur, détendu...
Je me suis rendue compte que j'étais dans ses bras depuis très longtemps. Je me suis doucement dégagée en essuyant mes larmes et en bafouillant un petit "merci". Il m'a sourit. Puis j'ai grimacé de douleur en faisant un faux mouvement. Ma côte me faisait vraiment mal. Il m'a fixé d'un regard inquiet, puis m'a demandé;
-Tu me dis que tu n'a jamais connu ta mère?
J'ai secoué négativement la tête.
-Elle est partie quand j'étais bébé.
-Est-ce que tu as des difficultés à l'école?
-Euh, ouais, je suis dyslexique et hyperactive, mais c'est quoi toutes ces questions, là?
Jason blêmit en me fixant.
-Jason? T'as vu un fantôme où quoi?
Sans me répondre, il a sorti une gourde de son sac et me l'a tendue, l'air anxieux.
-Tiens, euh, ça va te faire du bien.
-C'est une gourde.
-Oui, je sais, mais... C'est spécial.
J'ai haussé les épaules et ouvert  la gourde. J'en ai bu une gorgée en écarquillant les yeux. C'était le meilleur truc que j'avais jamais bu de ma vie! Il goûtait les biscuits à la vanille que me préparait ma grand-mère, il y a quelques années, avant qu'elle ne meurt. C'était bon, mais ça ravivait aussi une part de tristesse en moi. J'étais proche de ma grand-mère, et elle tenait à moi. Pas comme mon père...
Le jour où elle était morte, mon monde s'était écroulé.
Jason me regardait avec inquiétude. Il a pris mon bras.
-Ça va? Tu te sens bien?
J'ai inspiré un grand coup. Bien sur que j'allais bien, c'était quoi cette question? J'allais même très bien... Mes côtes! Je n'avais plus mal aux côtes! Je l'ai regardé sans comprendre.
-C'est quoi cette boisson? De la potion magique?
-Euh, je, écoute. Je dois aller chercher quelqu'un, je reviens dans pas longtemps. Ne bouge surtout pas.
-Compris, mais...
-Jure-moi que tu vas rester ici.
-Quoi? Mais Jason, il se passe quoi? Explique-moi!
-Jure le moi.
J'ai soupiré bruyamment.
-OK, je te le jure. C'est bon, là?
Il a hoché la tête, puis est parti en courant. Je n'y comprenait rien. C'était quoi cette potion? Qui allait-il chercher?
Les questions se bousculaient dans ma tête, mais je fus arrachée à mes pensées par une chauve-souris.
J'ai levé les yeux vers le ciel nuageux de la ville, et je n'ai pas tout de suite compris. Un gros oiseau se dirigeait vers moi. Non, pas un oiseau, une chauve-souris. Non, pas une chauve-souris, une... C'était quoi ce truc? Ça volait lentement, c'était gros et moche, et ça n'avait pas l'air très sympathique.
Un cri a retenti en bas de la colline, et je me suis directement levée. C'était un cri féminin, un cri... De guerre? En regardant au pied de la colline, j'ai failli m'évanouir. Il y avait une demi-douzaine de "chauve-souris" qui se dandinaient, ou plutôt tentaient de courir après une jeune fille.
Et c'est là que j'ai juste eu le temps de penser: Oh oh.
Le monstre que j'avais vu voler dans ma direction s'est jeté sur moi, et j'ai crié. Je me suis débattue, mais c'est qu'il avait des griffes, ce truc! Il m'a planté ses serres dans les bras, et j'ai hurlé de douleur. Ma vue s'est troublée, mais je n'ai tout de même pas rêvé quand j'ai vu le monstre se figer, puis se réduire en cendres. Mon cœur battait à mille à l'heure, ma respiration était saccadée. J'ai levé mes yeux pour voir mon sauveur, et il s'est avéré qu'il s'agissait d'une jeune fille blonde.

Ambre CarterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant