Chapitre 5

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Le temps passe si vite. C'est vrai, mais nous ne pouvons pas le rattraper. Rattraper le temps perdu, c'est plutôt étrange comme expression. Peut-on vraiment rattraper le temps perdu ? Techniquement non, puisqu'il faut passer du temps pour rattraper le temps perdu, ou alors remonter le temps mais je doute fort que ce soit possible. Nous ne pouvons donc pas rattraper le temps perdu, à part si l'on y passe du temps dessus. Alors, on aurait du faire cela plus tôt.
C'est à quoi je pense, après avoir enfin remarqué que nous sommes déjà en mars. Quelques semaines se sont écoulées depuis les vacances de février. Je me rends compte que ça fait 7 mois depuis la rentrée. Je ne suis pas prête à affronter tout ce qu'il reste à venir, notamment les examens. Je soupire, m'étirant un peu.
« Qu'est-ce qu'il y a ?
— Pas grand chose, justement. »
Je suis chez Nick, et j'aide Clara à réviser. À part si c'est elle qui m'aide, je ne sais pas trop mon rôle dans l'histoire. Il n'y a effectivement pas grand chose qui se passe actuellement. Je passe du temps avec Clara, à la demande de Nick. Ce n'est pas pour me déplaire, mais j'aimais bien être seule à méditer sur la vie.
« Bon, tu résous l'inéquation ou quoi ? me dit-elle, impatiente.
— Mais c'est facile...
— Quand tu veux, alors. »
Décidément, le monde tourne autour des mathématiques. Clara, c'est une personne posée habituellement, sauf lorsqu'il est question de cours où elle se donne à fond. Des fois, ça pose problème car je n'aime pas la pression.
« Tu dînes à la maison aujourd'hui ? me demande-t-elle.
— Je ne refuse jamais la nourriture gratuite, tu sais. »
Quelle bonne amie je fais.
Clara habite chez Nick. Je ne sais toujours pas pourquoi d'ailleurs. Elle ne s'est toujours pas confiée à moi, mais bon, seul le temps dira quand cela viendra.
Après un bon repas, nous repartons dans la chambre de Clara, Nick nous suivant.
On se raconte des petits anecdotes de nos vies, c'est sympathique. Voilà comment les amis devraient passer leurs temps, à discuter de simples comme de profonds sujets. Je n'ai guère beaucoup d'amis, mais je sais apprécier ceux qui veulent bien passer du temps avec moi.
« Ça va bien avec Clarence ? demandé-je à Nick.
— Oui, même si on n'a pas fait grand chose.
— Qu'est-ce que tu veux faire à 14 ans ?
— Et bien, se tenir la main, s'embrasser pour se dire au revoir, la base de toute relation, quoi.
— Vous n'avez rien fais encore ? s'étonne Clara.
— Je suis dans le regret de t'informer que ces actes ne définissent pas une relation. Et ça se trouve elle veut une relation platonique.
— Comment tu peux savoir ? Tu as déjà été amoureuse ? », réplique Clara.
Je lui réponds d'un signe désapprobateur de la tête. Elle me regarde avec pitié et m'étreinte.
« Je suis désolée que tu n'aies jamais ressenti cela. »
Nick ricane.
Je la repousse et me mets à penser. Qu'il y a-t-il de si merveilleux à propos de tomber amoureuse ? Je n'ai jamais rien ressenti de ce que l'on pourrait appeler " amour ", et je me sens bien encore. Même si avec l'apparition de la puberté, nous commençons à ressentir de l'attirance sexuelle, comme dit madame Perrez, professeure de sciences de la vie et de la terre, bien évidemment, grâce aux phéromones. Je m'écarte du sujet, puisque effectivement, je parle du désir. Mais alors, qu'est-ce que la romance, l'amour ? Et bien, je n'ai pas la réponse.
« Réveille-toi Morgan... », me dit Clara.
Mon attention revient alors sur la discussion, qui a changé de sujet entre temps. Nous parlons alors de notre passé. C'était une occasion pour moi de demander la raison du déménagement de Clara, mais non, je n'ai pas envie. Mon passé, et bien c'est du passé. Il n'y vraiment rien à dire là-dessus, c'est inintéressant. Comme le présent, et sûrement le futur. La vie des gens, en revanche, m'intéresse plus. Je demande à Clara où elle habitait.
« J'habitais à Bordeaux. C'était sympathique, jusqu'à qu'il y ait eu des problèmes familiaux. Du coup j'ai du déménager. »
Et bien, il semblerait qu'elle s'ouvre à moi. La règle que je respecte est de ne jamais demander plus lorsqu'une personne s'ouvre à moi de son gré.
Plusieurs heures passent où l'on continue de discuter, à propos du questionnement de l'existence des vies antérieurs. Commençant à fatiguer de la mâchoire, je regarde l'heure. La petite aiguille est sur le 5, m'indiquant que je dois partir voir Élise. En l'espace de quelques semaines, Élise s'est ouverte à moi. Quand on n'a pas vraiment de personnes sur qui compter, on peut se confier à qui veut l'écouter. Et moi, je voulais l'écouter. Mais je suis en retard.
J'enfile mon manteau et salue Nick et Clara. Je sors de l'appartement, saluant encore la mère de Nick. J'essaie de marcher le plus rapidement possible mais c'est une tâche complexe pour moi, n'aimant pas aller vite.
Après 15 minutes de retard, j'arrive devant le bois et cherche Élise, que je trouve assise sur un banc en train de nourrir les pigeons. Elle me voit et aborde un léger sourire.
« Je suis désolée pour le retard, j'avais pas vu le temps passer, lui dis-je.
— Ce n'est rien de grave. »
Nous discutons d'abord de choses banales. Je suis curieuse à propos de sa vie, même si toute l'école en parle. Mais je suis sûr que ce qu'ils racontent sont faux, même si en principe nous ne sommes sûrs de rien.
« Donc, tu voulais me voir pour quoi ? demandé-je.
— Je voulais te remercier.
— Me remercier, de ?
— D'avoir été là pour moi, depuis ce jour. De n'avoir prêtée attention à rien. De ne pas m'avoir demandée si les rumeurs étaient vraies. De juste m'avoir traitée en amie, en humaine, simplement. C'est vraiment gentil.
— C'est surtout naturel. »
Nous restons assises sur le banc à regarder le ciel légèrement orangé. Je me sens bien. Le silence est aussi une forme de communication que j'apprécie énormément. Ne rien se dire et pourtant se sentir bien, se comprendre, sans qu'il y ait de gêne, c'est une relation rêvée.
Après un moment de silence, elle reprend la parole et nous parlons de la réincarnation. Décidément, c'est la seule chose qui intéresse les gens. J'ai l'impression qu'elle est légèrement dépressive, vu comment elle parle du fait qu'elle voudrait mourir sur-le-champ pour se réincarner en dauphin. Si seulement c'était aussi facile que cela, se réincarner, je veux dire. Mourir, c'est facile. Vivre, peut-être un peu moins.
« J'ai froid », dit Élise.
Sans vraiment penser, je sors mes mains de mes poches et prends ceux d'Élise, sans son consentement.
« Tes mains sont chaudes.
— Presque tout le temps. »
Presque tout le temps, vu que j'ai tout le temps mes mains dans mes poches. Il m'arrive d'avoir les mains froides lorsque je ne fais rien ou lorsque j'ai faim.
Quelques minutes plus tard, son froid se transmet dans mes mains et ma moiteur dans les siennes. Nos mains se séparent et le silence revient.
Je regarde le lac reflétant le ciel. C'est plutôt beau. Les canards se battent, des enfants les nourrissent. Je regarde Élise, qui se passe sa main dans ses cheveux bruns. Elle fait souvent ça. Elle tourne la tête et croise mon regard, que j'essaie d'éviter en vain. Ses yeux noisettes me fixent avec insistance, j'ai l'impression que je ne peux pas m'échapper. Comment faire, comment faire... Soudain, vient l'idée. Bien que j'apprécie le fait que l'on me regarde, je n'aime pas fixer à mon tour.
« Bataille de regards ! »
Ses yeux qui me regardaient passent alors à une expression de non-compréhension, puis à un éclaircissement et deviennent enfin enjoués. Bien sûr, je cligne des yeux après quelques secondes et m'échappe enfin de cette cage dans laquelle j'étais enfermée. Je la vois qui souris, ce qui me fait plaisir. Soudain me rattrape le temps, encore une fois. Nous ne rattrapons pas le temps, c'est lui qui nous rattrape. Il est l'heure pour moi de partir, puisque environ 2 heures s'étaient écoulées depuis, alors que j'ai l'impression que nous n'avons absolument rien fait, à part se regarder. Je me lève et Élise en fait de même.
« Tu pars ?
— Oui, j'ai encore des choses à faire.
— D'accord, à demain alors. »
Elle s'approche pour me faire la bise tandis que je ne sais pas quoi faire. Je me rapproche et lui rends. Cette action, je ne l'explique pas, et je ne sais pas si je pourrais l'expliquer. Je ne fais habituellement pas la bise.
Je pars d'abord, pendant qu'elle reste assise sur le banc. Je ne sais pas ce qu'elle va faire, toute seule, le soir, mais tout ce à quoi je peux penser est ce que je viens de ressentir après avoir eu son visage si près de moi.

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