Mes yeux me piquent. En me réveillant, je me rappelle de tout ce qu'il s'est passé hier, avec Ambre. Je suis surprise d'avoir pu rentrer chez moi en morceaux, tout de même. Regardant l'heure, je me rends compte que je suis en retard. Pourtant, je me lève avec nonchalance et ne ressens ni stress ni anxiété. Est-ce là l'effet de la magie d'Ambre ? Peut-être. Je ne me sens pas plus triste qu'hier, mais juste bien. C'est étrange.
Après avoir nourri Alice, j'enfile mes chaussures et sors de chez moi. Alors que je m'apprête à poser un pas hors de l'ascenseur, je me fais aveugler par les rayons du soleil. L'impression d'avoir hiberné pendant des mois se fait encore plus forte, quand en sortant, une chaleur digne des canicules d'été se fait sentir sur toute ma peau. Est-ce... que c'est un rêve ?
Mes paupières s'ouvrent alors d'une traite et d'un mouvement de tête, je regarde l'heure ; toujours en retard. Je me pince un coup pour distinguer le faux du vrai et me lève en vitesse, constatant que je ne rêve plus. N'oubliant pas de nourrir Alice, je ressors de chez moi et en sortant de l'ascenseur, une brise printanière survole tout le hall. Heureusement que je ne suis pas allergique.« Bonjour, je suis en retard. »
Un court instant s'échappe, suivit d'un bourdonnement d'abeille, puis de la gardienne qui me fait signe de rentrer. Je me tâte de courir vers ma salle de classe et toque à la porte de celle-ci avant de rentrer. Le prof lève ses yeux vers moi, lunettes tombantes, tenant à peine son stylo, avant de continuer l'appel, sans m'adresser aucune parole. J'ai l'habitude. Cherchant ma place habituelle, je remarque qu'elle est occupée par Valentin, qui est vautré sur sa chaise, mâchouillant son stylo. Je m'avance vers lui, avec une mine interloquée quand le prof, comme ayant entendu ma question implicite, répond :
« Je l'ai changé de place parce que monsieur bavardait trop. Tu peux te mettre à sa place.
— D'accord monsieur. »
Réfléchissant quelques instants, tête en l'air, je comprends que si Valentin est à ma place et qu'on est en histoire, alors techniquement, ma place devrait être à côté de...
« Morgan, va t'asseoir, continue de dire le prof, agacé.
— Pardon. »
Je me dirige vers la table, fermant les yeux un court instant afin de les humidifier et me fais accueillir par un :
« Bonjour Morgan », d'Ambre, un sourire si innocent et chaleureux aux lèvres que je sens mon cœur pomper beaucoup plus vite. Je souffle un coup et m'assieds à côté d'elle.
« Salut Ambre, quoi de neuf ?
— Morgan ! me crie le prof, debout, face au tableau, avec un ton las, plat et monotone.
— On parlera après, à la bibliothèque ? » dit Ambre.
Je lui réponds avec un hochement de tête, par peur de me mordre la langue par inadvertance. Et d'attiser la colère du prof, mais ça, c'est une autre histoire. Ça tombe mal puisqu'on est en histoire.
« Morgan, sort tes affaires ou sort tout court.
— Pardon.
— Arrête de t'excuser.
— Oui. »
L'heure passant lentement, je ne peux m'empêcher de lancer des regards furtifs à Ambre, concentrée sur les écrits laids du prof sur le tableau. Me remarquant à plusieurs reprises, elle ne se contente que de dire « Quoi ? », ricanant d'un air gêné. Je ne sais pas si, dû à la rougeur de mes yeux, je vois la vie en rose, mais je crois apercevoir ses joues devenir aussi roses que des cyclamens. Je sens à l'intérieur de mon estomac quelque chose en lévitation, si bien que je me dois de respirer lentement afin d'essayer de réguler mon battement irrégulier. Ça fait assez mal. Je décide de fermer les yeux et de me concentrer sur quelque chose d'apaisant.
Ouvrant les yeux après avoir entendu la sonnerie, je sursaute un coup à la vue de la face ridée du prof devant moi. La dernière fois que j'ai eu un visage aussi proche de moi, c'était hier.
« Décidément, Morgan, tu me surprends tous les jours. Le brevet, c'est dans trois semaines, tu le sais ça ?
— Bien sûr monsieur, je révise assidûment tous les jours. Voyez ces yeux rougies par l'intensité de l'effort, et ces cernes aussi noirs que mon futur.
— Arrête tes bêtises. Sortez, tout le monde. Vous me fatiguez. »
Toute la troupe s'envole en courant vers la sortie. Alors que je m'apprête à suivre le mouvement, je me souviens que j'ai quelque chose de prévu. Me retournant, Ambre range ses affaires assez lentement. J'essaie de l'aider un peu en lui prenant sa trousse pour la ranger, mais ma main touche la sienne à l'intérieur du sac. Je ne la retire pas instinctivement, et elle non plus. Il n'y a que des regards doux, remplis de gentillesse, et pour ma part, de plus encore. Nous sommes alors comme figées dans le temps, personne ne réagissant aux alentours. Prise d'une impulsion, je prends sa main dans le sac et la mêle a la mienne. Un courage sorti de je-ne-sais-où incite même mon pouce à lui caresser le dos de sa main. Elle ne conteste pas, son regard est baissé, gêné, alors que j'essaie de chercher son regard. Nous ne pensons sûrement pas à la même chose en ce moment même et elle ne semble pas non plus réagir aussi gravement que moi. A cette pensée, j'enlève ma main, légèrement contrariée et déçue de moi-même, Ambre s'étant retournée à son rangement, comme si rien n'était anormal, même si tout au fond de nous, nous savions que ce qui s'était passé sortait de l'ordinaire. Du moins, j'en étais sûre.

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Inaccessible
Romans« C'est bizarre, j'ai l'impression d'être plus triste quand je pense à elle, alors que l'on dit sans arrêt que l'amour rend heureux. Cette image de l'amour que la culture populaire embellit de passion et de romance n'apporte en réalité que de la déc...