Chapitre 11

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« Fais comme chez toi... »
Je pose les clés sur la table sous les yeux ébahis d'Ambre. Elle observe tous les recoins de l'appartement tout en marchant d'une finesse incomparable. J'aurais tout fais pour la voir avec un chat. Les deux merveilles du monde, les chats et les filles. Je m'égare.
« C'est tellement chaleureux chez toi...
— Comment ça ?
— Et bien regarde... Ces plantes sur le balcon... il y a même des cactus ! La température est parfaite, tout est en bois, et la décoration aussi... Ce piano là, et la guitare... Le ukulélé aussi ! Je me plais déjà. »
Sa remarque fait apparaître un léger rictus sur mon visage.
« Tu peux rester autant que tu veux, un peu de compagnie ne me ferait pas de mal.
— Vraiment ?
— Si les grottes c'est ton truc...
— Chez moi, tout est noir, blanc et froid. En plus je suis souvent seule donc oui, je préfère être accompagnée plutôt que seule. Même dans une grotte. »
C'est adorable. Mon petit cœur ne semble pas pouvoir tenir plus face à tant de douceur de mots.
« Tu joues du piano ?
— Ma sœur joue du piano et du violon. Je joue de la guitare et du ukulélé.
— Vous êtes une famille de musiciens ?
— Seulement nous deux. Ma mère voulait sans doute se projeter en nous...
— Je comprends totalement. Et ton père ?
— Mon père travaille à l'étranger. Il ne pratique rien non plus.
— Je vois. »
Un petit silence s'installe entre nous. Je tends la main pour qu'elle me donne son sac.
« Tes parents reviennent à quelle heure ?
— Vers dix huit heures trente je pense.
— D'accord. Qu'est-ce que tu veux faire ?
— Tu es l'hôte. »
Elle sourit telle une enfant. Le genre enjouée pour aucune raison. J'aimerais avoir une simplicité d'esprit comme elle. Sourire à la vie. Sourire car on vit. Mais ça me paraît difficilement faisable.
« Tu souris vraiment tout le temps. »
Elle me regarde, la tête inclinée sur le côté, toujours son sourire sur son visage.
« Oui, j'aime sourire. Tu ne trouves pas que tu repends ta joie comme ceci ?
— Alors tu es tout le temps joyeuse ?
— Tout le monde a ses secrets. »
Elle me fait un clin d'œil. C'est très attirant, les clins d'œil, cela peut insinuer tellement de chose, juste en clignant d'un œil.
Je daigne poser son sac plutôt lourd et la conduit vers ma chambre. Elle en profite pour visiter toutes les autres salles. Elle est curieusement intéressée par ce qui ne bouge pas. Je regarde ma montre, elle affiche 17:02. Une heure et demi avec elle. Qu'est-ce que l'on pourrait faire ? Regarder un film, même si c'est un peu cliché, ou écouter de la musique, parler... Je n'invite jamais personne justement pour éviter ce problème. Les interactions sociales me frustrent à un point.
Le téléviseur peut sûrement m'aider.
« Un film aléatoire ?
— J'aime les surprises. »
Encore un clin d'œil, suivi de ma non-réaction face à ce geste. Elle me regarde, un sourire figé avant d'éclater de rire.
« Pardon, pardon, j'arrête si tu veux.
— Ah non, mais y'a aucun problème. Si tu as des tics nerveux avec moi, ça m'enchante. »
Elle me tape l'épaule, un geste amical.
Je trouve finalement un film qui commence bientôt avec une durée de 2 heures.
Nous nous installons sur mon lit et je ferme les rideaux.
Après une heure, le film commence enfin à être intéressant.
« Ah mais je pourrais jamais avouer mes sentiments à la personne que j'aime comme ça... tellement cliché, et trop timide, dit-elle.
— Tu aimes quelqu'un ? »
Elle tourne sa tête vers moi.
« Je ne sais pas trop si c'est vraiment de l'amour... Tiens, mais si je me pose la question " Qu'est-ce que l'amour ? ", ça veut dire que je ne suis pas amoureuse, puisque que je le saurais, non ?
— Sûrement... Donc tu es en phase de questionnements ?
— C'est le terme. Et toi ?
— Ça ne m'intéresse pas trop.
— Que tu es froide !
— Je sais. »
Son ton était ironique. Ça me rassure un tantinet. Je peux être froide, c'est vrai.
Est-ce que ça ne m'intéresse pas ? Je mens sûrement. Je suis curieuse à ce propos. Je ne dirais pas non à ressentir quelque chose pour quelqu'un. Il paraît que ça rend heureux.
Mes yeux retournent sur l'écran pour voir des jambes dénudées. Une scène de sexe, ce qui ne manque pas dans les films romantiques.
« C'est gênant. »
Ambre me regarde avant de pouffer de rire. Encore son rire. Encore et encore, j'aimerais l'entendre encore.
« Ça me gêne pas plus, rétorqué-je.
— Tiens donc, ça m'étonne pas bizarrement. »
Je souris à l'écoute de sa remarque.
« Je propose qu'on arrête de regarder ce film médiocre, reprend-t-elle.
— Si tu le dis, mais on fait quoi alors ? Ça fait que quarante minutes de film.
— Et bien... Joue pour moi ?
— Si tu veux... »
Je rouvre les rideaux laissant apparaître une fenêtre mouillée par la pluie. Il pleut à petites gouttelettes mais abondamment.
Ayant mal aux doigts, je prends le ukulélé qui attendait ça depuis longtemps. Je commence alors à jouer la seule chanson que je connais et qui m'a poussée à acheter ce petit bijou. Le tempo étant lent, j'en profite pour jeter un œil à Ambre.
Elle regarde le ciel couvert. Le fait qu'elle ne me regarde pas me réconforte, cela me rend moins stressée. Elle descend la manche de son pull jusqu'à couvrir sa main et s'accoude au rebord de la fenêtre. Je ne peux pas savoir si elle est détendue ou mélancolique. Ou les deux. Elle semble si reposée. Tellement que son sourire d'antan ne semble jamais avoir existé. Devrais-je arrêter ? Il me peine de la voir comme ça. Il ne reste que deux minutes en plus.
Sur le dernier accord joué et la dernière phrase chantée, le silence s'installe. Je fixe la figure d'Ambre. Son dos est légèrement courbé. Ses cheveux sont lisses, et sûrement soyeux. Combien de temps va durer ce silence ?
Après quelques secondes passées à vivre inconsciemment, Ambre daigne enfin se retourner.
« Tu chantes magnifiquement bien. »
Je ne sais pas si j'ai des troubles de vues, mais il me semble que ses yeux sont mouillés. Est-elle triste ? Émue ? J'aimerais tant savoir, mais on m'a apprit à ne pas demander à une personne si elle pleure, au risque d'empirer la situation.
« Merci. »
Elle se lève et essuie ses yeux avec ses mains couvertes par ses manches. Elle pleurait bel et bien. Mon subconscient dirait que c'est niais, mais j'ai un pincement au cœur à ce moment précis. Elle sort son portable en se frottant un œil.
« Il faut que j'y aille... Mes parents sont rentrés. »
Je me lève et l'accompagne à l'entrée. Je prends son sac et lui pose délicatement sur l'épaule.
La voir comme ça, je n'y arrive pas. Qu'est-ce que j'ai fais pour la mettre dans cet état ? Je me sens terriblement mal. J'en oublie tout ce que je lui reprochais égoïstement. Je ne peux supporter davantage.
« Tu vas bien ? »
Alors qu'elle est en train d'enfiler ses chaussures, une main appuyée au mur, elle lève sa tête et me regarde fixement. Ses yeux verts brillent, non de joie, mais de tristesse. Ses larmes montent, je le vois, je le sens.
Cette question, tout le monde la pose. On peut s'attendre un « oui », qui est la plupart des cas un mensonge, ou un « non », suivi de toute sorte de problèmes. Ou alors dans le cas présent, c'est la question déclencheur d'un débordement d'émotion et d'un geste affectif.
Je la prends dans mes bras, enfin. Depuis le temps que je me retiens. Ce contact physique soudain fait couler ses larmes abondamment. Je passe ma main sur sa tête et pose mon instrument contre le mur. J'entends ses sanglots étouffés dans mon gilet. C'est en parti de ma faute, et je me sens triste pour ça. Elle pose ses mains sur mon dos, faisant appel à mes frissons.
Je n'ai jamais étreins quiconque mis à part mes parents. C'est... reposant. Cela me donne envie de la protéger. La protéger de ce monde cruel. La protéger de tous les dangers de cet endroit. La protéger des malotrus qui oseraient la blesser. La protéger du mal. Mais ce n'est pas possible malheureusement, et j'ai déjà échoué.
Je n'entends plus de sanglots. Je me retire doucement et on se regarde. Je passe mes pouces sous ses yeux pour enlever toutes traces des conséquences de la tristesse. Je ne peux vraiment pas la voir comme ça.
« Ça va mieux ? »
Elle hoche la tête en souriant tristement. J'espère qu'elle ne se force pas. La porte toujours ouverte, je me recule et la libère de l'emprise de mes bras.
« Merci... pour aujourd'hui.
— Pas de problème. Repasse quand tu veux.
— Avec plaisir. »
Elle sort alors et je m'efforce à fermer la porte. Je reste un moment contre la celle-ci et entends l'ascenseur se fermer. Un sentiment de vide apparaît déjà. Je m'assieds contre la porte et regarde chaque recoins sur lesquels elle a pu poser ses yeux. Tout me semble normal. Pourtant, il me manque quelque chose. La légère brise émanant de la fente de la porte me répond alors : il me manque cette chaleur. La chaleur ressentie lors de cette étreinte. La chaleur ressentie pendant cette heure. La chaleur ressentie dans ma tête. Je pose ma main sur ma poitrine et mon cœur bat comme jamais. La chaleur ressentie dans mon cœur.
« For I can't help falling in love with you... »

( la chanson était Can't help falling in love d'Elvis Presley, la dernière phrase étant la dernière parole de la chanson c: Cette chanson au sur le uke... wow »

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