Chapitre 35

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En simplifiant, trois étapes. Arrive le béguin avant l'amour et arrive l'attirance avant le béguin. C'est ce que je ressens actuellement. Ça ne semble pas compliqué, les trois étapes. Et pourtant, ça l'est. Je ressens une chaleur sans précédente à l'intérieur de moi, quelque part non localisable. Je crois que c'est dans tout le corps, c'est pour ça.

« Ça fait du bien de l'avouer. »

C'est le brouillard dans ma tête. Je sais pas comment réagir. Je sais pas quoi dire. Je sais pas comment fonctionner. C'est si dur de prendre la parole et de dire deux simples mots, si dur de sortir de sa zone de confort. Si dur de devoir agir et faire face aux conséquences. Et après un ultime effort : « Moi aussi », dis-je. Et ça fait du bien, c'est vrai.

Nous nous regardons dans le noir pendant quelque temps. Un moment où l'espace-temps a comme changé de dimension en même temps que nous. Seule son aura me tient éveillée en cet instant précis, sans quoi je me serais sûrement évanouie. Et je ne sais comment, mais sûrement parce que je réalise enfin la situation, je suis tendue. Tous mes muscles sont tendus et j'ai envie de bouger. Comme les cordes d'une guitare, j'ai envie de me détacher. Une poussée d'adrénaline. Une envie d'agir. Un besoin d'avancer. Je m'avance, agissant sous une pulsion réfléchie. Ayant imaginé cet instant précis tellement de fois, ayant rêvé de cette scène aussi bien dans mes songes que mes cauchemars, ayant fantasmé sur ce scénario si idyllique, je m'avance, et dépose mes lèvres sur les siennes. Même figée dans le temps, je sens des papillotements dans mon ventre, dans ma tête, des fourmis dans les pieds, mon cœur qui danse et mes pensées qui pensent. Mon esprit vide est seulement submergé d'un doux parfum, d'une douce joie, d'un arc-en-ciel après la pluie, d'une paix savoureuse. Tous ces mois passés à réfléchir, spéculer, méditer, s'envolent avec l'anxiété et la tension accumulée. Avec un douloureux effort, j'éloigne mon visage du sien, ayant perdu toute notion du temps, et ainsi, de la réalité. Nous nous observons un instant, avant de prendre conscience de la situation. Des rires gênés, des regards fuyants, des respirations saccadées. Mais au moins, des cœurs apaisés et sereins. Vidées de nos incertitudes, nous nous levons et retournons nous coucher, sans dire un mot de plus. Mais se coucher est un bien grand mot, alors je dirais plutôt que nous retournons somnoler, l'esprit bien trop éveillé.

L'aube se lève accompagnée du chant des oiseaux. Mais en réalité, ce chant, je l'écoute depuis un bon bout de temps. Combien ? Je ne sais pas. Je n'ai pas regardé, mes mains ne voulant pas obéir à mon esprit trop occupé à penser, penser, penser. Mon cœur non plus, ne s'est pas calmé. Je suis en quelque sorte, calmement anxieuse, alors que je ne devrais pas l'être. J'ai peur de sortir et d'affronter ce qu'il s'est passé hier. Faire face à la gêne, faire face à l'indifférence, peut-être. Il y a toujours un moment de doute après un instant gai. Et je l'affronte en ce moment même. Je ne pense pas être la seule dans cet état-là. Je ne sais pas. Je désactive mon alarme qui devait sonner dans deux heures et me lève promptement. Je songe à ce que je devrais dire si je devais me retrouver nez à nez avec Ambre. Je regrette ce qu'il s'est passé. Fallait-il que je parte juste après ce qu'il s'était passé ? Fallait-il que je prenne l'initiative ? Fallait-il que je me réveille ? Mes doutes fusent, et ma crainte reprendrait rapidement le dessus si j'avais fait quoi que ce soit de mal. Mais je n'avais rien fait de mal, qui me plongerait dans la culpabilité, alors pourquoi douter en ce moment même, alors que je devrais être la plus heureuse des adolescentes, dont le rêve se réalise enfin ?

Je prends mes habits, faisant attention à ne pas marcher sur quelqu'un et me rends dans la salle de bain. Pas de signe d'Ambre qui a dut rester dans sa pièce. Je soupire et m'empresse de m'habiller et de me préparer. Après coup, je me rends dans la cuisine. Je ne sais vraiment pas ce que je fais, alors qu'il est à peine sept heures du matin. Préparer le petit déjeuner ? Ce serait sûrement bien pour les remercier d'hier. Je vérifie que j'ai à disposition tous les ingrédients avant de commencer à préparer des pancakes. Un plat simple que personne ne pourrait refuser, surtout Nick qui mange comme un ogre dès le matin, habitude que je ne comprendrai jamais, mais soit. Une dizaine de minutes plus tard, j'allume la poêle, y place un peu de pâte, et attends. Mauvaise idée, vu que je me mets instantanément à réfléchir de nouveau. Pourquoi ai-je hérité d'un cerveau aussi pensif, je me le demande. Peut-être que le problème, ce n'est pas lui, mais moi, au final. Après quelques secondes, je retourne le pancake, et finis sa cuisson. Je suis tellement concentrée à retirer la pâte cramée que je ne remarque pas la présence de quelqu'un qui ouvre lentement la porte. Faites que ce ne soit pas Ambre, faites que ce ne soit pas... Ambre. C'est elle. Aïe.

« J'ai senti du brûlé, du coup je suis venue vérifier...

— C'est... juste moi.

— Oui, j'ai remarqué. »

Je ne sais pas où me mettre, mais décide au moins de finir le premier pancake.

« La première est toujours ratée », me dit-elle, essayant de me rassurer.

C'est une bien gentille attention, mais je reste paralysée par l'idée de trouver un sujet de discussion autre que ce qu'il s'est passé. Un détail attire cependant mon attention.

« Comment tu sais que c'est la première ? », demandé-je.

Elle ne répond pas immédiatement.

« Tu m'as réveillée, du coup je suis venue voir.

— Venue m'espionner ? dis-je, légèrement amusée.

— On peut dire ça. »

Je dépose la poêle et n'est pas sûre de comment continuer la conversation. Je ne sais pas si je devrais pousser le bouchon plus loin, au risque de finir comme hier. La curiosité me tuera.

« Et t'es pas rentrée ?

— Non.

— Pourquoi ? »

Elle rougit. Oh mince, c'est ce que je disais. Nous sommes toutes les deux gênées, mais c'est pas comme si nous avions fait quoi que ce soit de culpabilisant. Décidemment, je ne sais plus quoi penser. Etais-je plus heureuse, inconsciente du fait que mes sentiments étaient réciproques ? Non, certainement pas. Je pense beaucoup trop.

« J'étais gênée », dit-elle.

Normal, j'ai envie de dire. Qui ne le serait pas. Après avoir retrouvé mon sang froid, je lui réponds qu'elle n'est pas la seule dans cet état. Elle ne semble pas réagir, mais son regard est fuyant.

« Tu... veux m'aider ? lui proposé-je.

— D'accord... »


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