Le regard fixant cette demoiselle perdue de vue depuis quelque temps, je m'avance doucement.
Suis-je conscience de ce que je fais ? Que devrais-je faire s'il venait à moi d'engager la conversation ? Cette simple pensée arrête mes mouvements immédiatement. Je ne compte même plus les jours passés depuis cette fois, comme si je me suis forcée à oublier. Cela me paraît si loin dans le temps, mais je ne suis pas sûr. Je ne suis plus sûre de rien. Le regard toujours rivé sur elle, je sens ma jambe me chatouiller ; un petit spitz me renifle, me tournant autour et se faufilant un peu partout. Amusée par cette peluche sur pattes, je m'abaisse pour le caresser, mais il me vole ce plaisir en commençant à m'aboyer dessus. Ne sachant comment réagir, je me lève à la recherche du propriétaire quand je croise le regard d'Élise, souriant à la vue de ce spectacle.
Un homme finit par accourir vers moi essoufflé. Il s'excuse et emporte son chien sous son bras, comme un vulgaire ballon de basket-ball. Je soupire, me disant que personne ne promène les chats. C'est bien dommage.
Je regarde Élise, qui cette fois me fixe à son tour. Elle n'est pas très loin et elle m'a repérée. Que faire, m'enfuir une nouvelle fois ou affronter mon destin inéluctable ? Suis-je la même lâche d'antan ? Est-ce que la raison m'a retrouvée ? Je ne distingue guère les pupilles de cette fille mais je ressens son regard pesant. Eh bien... allons-y.
Au fur et à mesure que je marche, j'ai juste l'impression que tout est distorsion autour de moi. Je n'ai pas peur, absolument pas, c'est faux. J'expire juste avant d'arriver devant elle. Ce trajet m'a semblé si long. J'espère que ce ne sera en vain.
Je lève ma main au lieu de lui dire bonjour, peut-être que je suis toujours aussi peureuse qu'avant, finalement.
« Tu vas bien ? dit-elle. »
Alors, elle est bien la première à parler. Détends-toi Morgan.
Elle souffle la fumée de sa cigarette avant de l'écraser contre une pierre. C'est un soulagement, puisque je n'aime pas cette odeur.
« Je vais bien et toi ?
— Comme toi, je suppose »
En réalité, je ne vais pas bien. Je ne suis jamais vraiment bien, hormis lorsqu'une certaine personne est présente, c'est étrange.
Je me place debout, adossée à l'arbre, à côté d'elle. L'herbe est humide et j'arrive à distinguer des bêtes dansantes. C'est bien trop sale pour moi.
Que dire maintenant ? J'ai beaucoup de choses à dire. Je devrais commencer par m'excuser. Mais m'excuser de quoi déjà ? De ne pas l'aimer ? Je ne sais pas si c'est raisonnable. Je me demande pourquoi elle fumait. Je ne l'ai jamais vu faire. C'est sûrement normal, je n'ai jamais vraiment cherché à en savoir plus. Je me sens légèrement misérable.
« Alors... tu fumes ?
— Je recommence. »
C'est d'un gâchis, tout de même. J'y pense, j'espère que ce n'est pas à cause de moi. J'aimerais comprendre ses actes, mais quelque chose bloque entre nous. Je ne suis juste pas à l'aise avec elle. C'est comme si mon anxiété sociale refait sociale. Je n'arrive pas à m'exprimer, à dire ce que je ressens, à communiquer à l'oral tout simplement. Tout n'est que gestes entre nous. C'est quelque chose que je ne peux faire indéfiniment, agir. Mais il faut en finir. Il faut que j'essaie de réparer tout ça. J'ai brisé bien trop de choses. Je mets mes mains dans les poches et m'abaisse en me tournant vers elle.
« Je... je voulais m'excuser de cette soirée-là. Je m'excuse d'être partie aussi brusquement.
En fait, je ne sais pas vraiment si je devrais m'excuser d'être partie soudainement. Non, je crois que je devrais plutôt me faire pardonner d'avoir laissé une personne comme toi. Tu méritais tellement mieux que de rentrer bredouille sous la pluie. Je ne sais pas si ce serait le terme. Je ne sais pas comment tu te sens. C'est ça le problème. Je ne savais pas comment tu te sentais. Je n'ai pas essayé de te comprendre. Je n'en ai pas fait l'effort. Je ne suis pas restée avec toi pour, je ne sais pas, te réconforter. Je regrette fortement mon acte, car maintenant je sais ce que l'on ressent lorsque la personne qui nous intéresse ne nous remarque même pas du coin de l'œil. Je suis désolée. »
Je l'ai dis. J'ai réussi à le dire. J'ai surpassé cette peur subconsciente. J'aurais voulu me détendre, mais là n'est pas le moment. Après seulement quelques instants, elle répond : « Tu m'as demandée depuis quand je fumais... depuis cette année. C'est quelque chose que je regrette par ailleurs. Ça ne sert vraiment à rien de fumer. Je ne sais pas pourquoi je les ai suivis. Tu vois, avant je n'étais pas comme cela. Je riais quand je le sentais. Je pleurais quand je le devais. Je parlais quand je le voulais. C'est sûrement la puberté qui a changé des choses. Ou alors je raconte un ramassis d'absurdités. J'ai donc suivi la tendance et j'ai commencé ce que j'aurais dû arrêter. Entre-temps, j'ai découvert les sentiments et l'attirance que l'on pouvait porter pour chacun d'entre nous. C'était vraiment intéressant, mais il suffisait de ne pas être conformiste comme eux pour que tout chute. Si tu ne faisais pas comme eux, tu n'étais pas normale. En fin de compte, je suis tombée amoureuse d'une fille et ils l'ont su. Ils m'ont rejeté par suite, dit-elle en se levant. Le dégoût est humain. La bêtise ne devrait pas l'être. C'est absurde, c'est vrai, mais c'est réel, malheureusement. »
J'admire vraiment sa réactivité et sa façon de penser. Cette facette d'elle, tout le monde devrait la voir. Pourquoi je ne peux pas la rendre heureuse ? Je me le demande. Ce n'est pas ma faute.
Elle sort alors son paquet de cigarettes qu'elle place dans mes mains.
« Alors, j'accepte tes excuses. Mais je ne m'intéressais pas seulement à toi, j'étais amoureuse de toi. Et je le suis toujours. Je n'aurai pas dû revenir hier. Je pensais que tout allait bien se passer. Et alors j'ai vu ce visage que tu as eu lorsque tu as vu cette fille et ton amie hier. Ce visage sous la colère, dont les traits ont été adoucis d'un instant à l'autre. Malgré moi, je n'arrive pas à t'oublier. J'aimerais dire que rien n'est de ta faute. Ça ne vient pas de toi, mais inconsciemment c'est de ta faute. Je suis vraiment jalouse, je n'y crois pas... Je me sens idiote de dire ça.
Garde ça pour moi, pour que j'évite de faire plus de bêtises. »
Je range alors le paquet dans ma poche et me lève à mon tour. Je ne peux pas parler. Je pense que c'est ce qu'elle voudrait. Si je venais à parler, alors qui sait ce que nous pourrions faire. Elle s'éloigne, les mains rangées dans ses poches. Elle regarde toujours le sol, sa démarche habituelle. Maintenant, je ne sais plus vraiment si je pouvais changer cela. Je regarde le ciel, qui est toujours ensoleillé. Je ne devrais pas le dire, mais c'est bon signe.
Tout d'elle est sublime, pourtant je n'arrive pas à ressentir quelque chose pour elle. C'est vraiment un mystère, les sentiments.
![](https://img.wattpad.com/cover/60065427-288-k428.jpg)
VOUS LISEZ
Inaccessible
Romance« C'est bizarre, j'ai l'impression d'être plus triste quand je pense à elle, alors que l'on dit sans arrêt que l'amour rend heureux. Cette image de l'amour que la culture populaire embellit de passion et de romance n'apporte en réalité que de la déc...