Chapitre 15

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Une habitude fait que je me rends tous les dimanches chez Nick. Clara m'accueille, comme toujours chaleureusement avec son sourire enfantin et ses bras dansants. Nick, quant à lui, conserve son aura calme, mais est au fond aussi joyeux qu'elle. Enfin, je l'espère. Je ne sais plus vraiment si je manque à qui que ce soit. C'est problématique.
Je me retrouve avec eux sur leur terrasse en train de discuter. Le soleil est à son point culminant, éclairant nos âmes perdues. Je me demande ce qu'elle fait. Parle-t-elle à l'autre ? Lit-elle ? Je ne sais jamais ce qu'elle fait pendant les week-ends. Peut-être aurai-je dû porter plus attention à cela. Peut-être aurais-je dû montrer plus en profondeur que sa vie m'intéressait. Quel est le problème ? Est-ce mon expression stoïque ? le ton de ma voix ? ma démarche ? Je ne le saurai sûrement jamais.
J'entends d'une voix masculine crier :
« Réflexe ! »
Je lève ma tête pour sentir une douleur à mon nez ; une balle en cuir vient de me percuter le visage. Je lâche un cri douloureux et désemparé avant de placer mes mains sur mon nez. Les yeux fermés, je crois apercevoir toutes sortes de couleurs. C'est vrai que ça fait mal. Et dire que l'autre jour...
« T'as perdu tous tes réflexes, dit Nick accourant vers moi.
— Tais-toi... » répliqué-je, toujours avec la sensation de la balle sur mon nez.
Pourquoi n'ai-je jamais la paix ? Pourquoi faut-il qu'il y ait autant de perturbations dans la vie ? Jamais de train-train quotidien, simple et calme. Jamais de vie « parfaite » ou joyeuse. Jamais une vie où l'on vit avec qui l'on veut. Non, ce serait trop ennuyeux. Mais oui, pimentons le tout ! Ah ! Ajoutons la haine, la tristesse, le désespoir, la colère ! Ou alors, rajoutons les sentiments de se sentir abandonnée, de la paranoïa, de la jalousie !
Ô Karma, finissons-en maintenant.
C'est sur cette dernière pensée que je rouvre les yeux. Les larmes me montent des tréfonds de mon corps.
Clara lance son portable vers le côté et me demande d'un air inquiet en se levant :
« Ça va ? Ça fait aussi mal que ça ? »
Je ne peux m'empêcher de rire. Pourquoi ris-je ? C'est nerveux, sûrement.
« Non, ce n'est rien. Vraiment. Rien.
— Tu te trahis en pleurant là. Dis-nous Morgan, quelque chose s'est passé ? », m'interroge Nick.
Je ne sais pas si je devrais leur dire. Ce serait beaucoup à encaisser. Beaucoup trop de questions sans réponses. Beaucoup trop de problèmes.
« Ne vous inquiétez pas. »
Ils se vaquent alors à leurs occupations, non sans mécontentement.
Ce qu'elle me fait faire, c'est triste. Il faut que j'arrête de penser à elle. L'auto persuasion, ça doit marcher.

Le visage de ce garçon me réapparaît. Comment s'appelle-t-il déjà ? Rayane, je crois. Ce faciès paisible, les yeux fermés, sûrement en phase de sommeil. Pourquoi dort-il sur ce banc ? Et pourquoi suis-je devant lui ? Je n'arrive pas à bouger. Je le fixe pour voir si je peux en obtenir une quelconque réaction. Rien du tout.
C'est à cette pensée qu'il ouvre ses yeux, dévoilant des vaisseaux sanguins éclatés dans ceux-ci. Ça doit faire affreusement mal. Je n'ai jamais eu ça. J'espère qu'il va me frapper, que l'on en finisse enfin. J'essaie de reculer, mais je me souviens que ce n'est pas possible. Je n'ai pas ma montre sur moi. Il ne bouge pas, il ne fait que me fixer bizarrement.
Il se lève soudain et c'est avec confiance que je l'attends. Je n'ai pas peur. C'est ce que je mérite. Je ferme les yeux et je l'entends s'approcher de moi alors que je serre les poings. Toujours rien. C'est en ouvrant les yeux que je vois le problème. Bien sûr, toujours un problème. Du sang commence à couler de son nez, qui se déforme petit à petit sous mon regard. C'est comme si je voyais une glace fondre. Du bleu et du noir commencent à apparaître sur ce visage difforme, occupant plusieurs zones de celui-ci. Pourquoi cette vision s'offre-t-elle à moi ? Ce qui reste de sa bouche s'ouvre pour laisser entrevoir des filets de sang dans le noir. Il commence à rire. Non pas comme un rire nerveux, mais un rire purement et simplement effroyable. Il rit comme si il a face à lui un spectacle désopilant. Ce rire passant de grave à aiguë. Ce rire en retard, ne suivant pas le mouvement de ses lèvres. C'est faux. Tout est faux dans ce que je vois. Ce n'est ni logique ni réel. C'est un rêve.

Je me réveille en sursaut, les larmes aux yeux. J'aperçois le blanc du plafond dans le noir. Ce n'est pas chez moi.
Je m'en souviens. Je dors chez Nick. À côté de moi, Clara sommeille paisiblement.
Je me lève en essayant de ne pas la réveiller. Quel cauchemar, j'ai besoin d'air. J'enfile mon manteau et sors dans la terrasse en chaussons.
J'aurais pu continuer ce rêve en toute lucidité. Mais non c'est bien trop horripilant.
Le ciel bleu nuit me fait face. Il doit être environ cinq heures. La rue est vide, dénuée de gens. Il n'y a que quelques voitures roulant doucement.
Je sens quelque chose dans ma poche droite. Les cigarettes d'Élise. Je les sors. La photo sur ce paquet est une bouche difforme avec des dents manquantes. Me rappelant ce que je veux oublier, je le range. Je ne succomberai pas. Ce n'est pas moi.
Je frotte mes yeux avec force et y laisse ma main. Ce que j'aimerais voir en l'enlevant, c'est Ambre à côté de moi, me souriant comme à son habitude. Je voudrais retourner dans le temps, et revivre les moments passés avec elle. Ces moments si paisibles et heureux, c'est ce que je voudrais. J'aimerais revoir ce sourire qu'elle m'adresse en parlant. Ces yeux pétillants qu'elle a en rentrant chez moi. Ces larmes qu'elle verse sur moi à une pensée triste. Cette chevelure si douce et légère, brillant face au soleil. Ce visage si expressif, communiquant la bonne humeur.
Je voudrais la voir.
Mais c'est en enlevant ma main que je comprends que ce n'est pas possible. Il y a trop d'obstacles entre nous deux. Tellement de personnes. Tellement de choix. Je ne sais pas quoi faire... Pourtant, si ma première pensée en me réveillant d'un cauchemar est elle, alors je doute pouvoir faire quelque chose.

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