Inaccessible

Chapitre 9

Tiens, une coupure. Bizarrement, je n'ai pas mal.
J'examine le léger filet de sang émanant de mon pouce. La corde a du me couper.
Il est vrai que je n'ai jamais été douée pour changer les cordes de ma guitare. Il faut à chaque fois que je m'en sorte avec une cicatrice quelconque.
Une peau sensible, moi ? Absolument.
Je souffle sur ma plaie, essayant de sécher tout ça.
Mais que fais-je alors que je suis malade ? Je traîne chez moi, je m'occupe. Je joue de la guitare.
Je devrais être au collège, mais bon, non. Aucune envie n'est ressentie.
Surtout depuis hier.
Comment faire face à Élise ? Comment faire face à quelqu'un qu'on a blessé ? C'est comme si on me plantait un couteau, et qu'on revenait pour me demander si je vais bien, sans retirer le couteau.
Je me lève et reste debout un instant dans l'obscurité total. La vue retrouvée, je cherche quelques vêtements potables pour le monde extérieur. C'est ridicule.
Quel idée de faire comme dans les films, de partir en marchant, trempée, dans le froid.
Il est quatre heures de l'après-midi. La fin des cours approche. Devrais-je tout de même y aller pour voir Clara, et si jamais Ambre ? Pourquoi est-ce que je me pose des questions rhétoriques tout le temps ? Je ne sais pas.
Toujours un temps gâché par les nuages grisâtres. Quand est-ce que l'arc-en-ciel apparaîtra ?
Les mains dans les poches, je vagabonde, gaspillant du temps avant d'arriver à l'école. Tantôt je regarde droit devant moi, tantôt je baisse les yeux, imaginant des situations incrédules, comme Élise qui apparaîtrait et qui me frapperait en plein visage. Ce serait une droite bien méritée.
Arrivée sans encombres, je m'assieds sur le banc en mettant ma capuche. Ne pas me faire reconnaître, ce n'est pas dur de base.
J'envoie un message à Clara et regarde aux alentours. Pas de signes d'Élise. Pas de signes d'Ambre. Je ne sais pas à quelle heure elles terminent. Je ne sais rien.
« Morgan ! »
Je lève ma tête pour apercevoir Clara accourant vers moi aux côtés de Nick. Bon et bien je peux enlever ma capuche.
J'éternue pour exprimer ma joie de les revoir tandis qu'ils m'accueillent avec leurs visages collés à leurs téléphones. Quelle génération. Oh, que dis-je, j'en fais parti.
« Tu pourrais prévenir quand t'es pas là, me dit Clara, contrariée.
— Désolé... Tu t'es pas sentie trop seule ?
— Non, pas vraiment. J'ai eu de la compagnie. »
Ah bon.
« Il y a une nouvelle élève. Enfin, elle était dans une autre classe. »
Si j'entends Élise sortir de sa bouche, je plongerais bien dans les orties derrière moi.
« Une certaine Ambre, qui a des problèmes de compréhension dans sa classe. »
Je sens mes yeux voulant s'écarquiller, mais qui malgré les efforts ne veulent pas. Je croyais pourtant qu'elle avait réussi à rattraper les cours, grâce à moi ?
« Comment se fait-il qu'elle puisse changer de classe après six mois d'absence ? demandé-je.
— Sûrement parce que sa mère est la directrice de l'établissement ? »
Alors comme ça, sa mère est la directrice. Et comme ça Clara en sait plus que moi sur elle. Je ne sais vraiment rien.
Alors que je m'apitoie sur mon inutilité, je vois quelqu'un s'approcher de Nick pour l'embrasser. Ah tiens, Clarence.
« Bon, t'a intérêt à venir demain Morgan. Clara rentre pas trop tard, dit Nick.
— Tu me connais. »
Les bras se serrant comme des aimants, les deux amoureux s'en vont. Ils ont avancé dans leur relation à ce que j'en conclus. Ça me rappelle que je n'avance à rien du tout.
La sortie commence à être désertée par les collégiens. J'écoute Clara qui me raconte sa journée, qui est banale comme toujours. Mis à part la partie où Ambre s'est présentée.
En parlant de la charmante féline, là voici en train de sortir. Peut-être qu'elle reste tard car sa mère la convoque où quelque chose comme ça.
Me voyant, son regard mystérieux ne change guère mais elle se dirige vers moi. C'est ce calme nonchalant que j'apprécie particulièrement chez elle.
Il faut que j'arrête d'avoir cette dépendance en elle. Il faut que mon cerveau arrête de vouloir la voir chaque jour. Il faut que mes yeux arrêtent de la dévisager tous les jours. Mais une addiction, ça ne s'arrête pas comme ça, malheureusement.
« Bonjour Morgan, me dit-elle abordant un sourire naturel.
— Bonjour Morgan. Tu as changé de classe donc ?
— Oui, je voulais te faire la surprise. Mais tu n'étais pas là, c'est dommage. »
Sous son air dépité, j'aimerais me lever pour la prendre dans mes bras, comme toujours. Mais je n'ai pas de force, particulièrement aujourd'hui.
Je ne sais pas quoi penser. Devrais-je penser à Élise, ou à Ambre qui ne me dit pas grand chose ? Pourquoi je me préoccupe autant ?
« Tu as pris tes médicaments Ambre ? »
Je regarde Clara, haussant le sourcil. Médicaments ?
« Oui, ne t'inquiète pas.
— Quels médicaments ?
— Ambre doit prendre des médicaments après les cours. C'est pour éviter le stress.
— Ah, je vois. »
Mon humeur déjà misérable dégringole alors plus. Clara, une fille qu'elle vient de connaître en sait sûrement plus que moi en deux mois. Que suis-je pour toi, Ambre ?
Je me lève difficilement et dis au revoir à Clara. Au moins, Ambre rentre avec moi. J'espère que ça ne changera pas.
En attendant qu'elles s'échangent leurs numéros, je regarde ailleurs. Je ne suis pas du tout contrariée, non. Pas du tout.
Alors que je tapote du pied, Ambre revient à moi. C'est un bien trop grand rêve, d'être à moi.
Le chemin risque d'être bien ennuyant.